« au soleil de Juillet » , que le nouveau régime, après quelque hésitation, tenta de se l’annexer. Il lâcha tout d’abord la bride aux poètes : alors Hugo se déchaîna et ce fut, dix-huit ans, la débauche de lyrisme que l’on sait. Le théâtre, de son côté, qui, sous la Restauration, n’avait osé s’ouvrir à la figure impériale, allait jusqu’à l’abus : quatre-vingt-dix-sept pièces sur l’Empereur de 1830 à 1841 ! Tous les Napoléon y furent acclamés : l’élève de Brienne, le lieutenant du régiment de la Fère, le chef de la batterie des hommes sans peur de Toulon, le général d’Arcole et de Rivoli, le conquérant d’Egypte, le héros de Brumaire, le Consul réparateur, le vainqueur d’Austerlitz, d’Iéna, de Friedland, le souverain du Sacre, le défenseur du sol de 1814, le revenant foudroyant du Vingt-Mars, le martyr de Sainte-Hélène ; on le vit superbe et bon, fort et généreux, magnanime et impérieux, invincible et infaillible, triomphant, trahi, livré, opprimé, au Calvaire ; on le vit même familial, conjugal, paternel, fraternel, pitoyable, bienfaisant, providentiel, pardonnant au coupable, réconciliant des amants, punissant le crime et récompensant la vertu. On le vit dans le drame et le vaudeville, au Cirque et à l’Opéra-Comique. Soudain le Théâtre se tut, — le fait est curieux, — quand, le 15 décembre 1840, un spectacle incomparable eut attiré tout Paris dans la rue : le Retour des Cendres.
Le gouvernement de Louis-Philippe s’était décidé : il se drapait délibérément dans la redingote grise. L’ex-roi de Rome était mort le 22 juillet 1832 : avec lui, semblait-il, le bonapartisme était définitivement enterré ; toutes les fois qu’on le tiendra pour tel, le napoléonisme empruntera à la circonstance une vigueur nouvelle. On avait rétabli la statue sur la Colonne et officiellement encouragé le réveil des souvenirs. Plus qu’aucun homme du monde, Adolphe Thiers y poussait.
Il avait écrit jadis l’Histoire de la Révolution. Il préparait avec infiniment plus de soin celle du Consulat et de l’Empire, Et déjà il subissait l’envoûtement fatal qu’Alfred de Vigny avait décrit en une page célèbre, « Bonaparte se baissa et, me prenant dans ses bras, m’éleva jusqu’à sa bouche et me baisa le front... Je sentis qu’il était mon maître et qu’il enlevait mon âme à mon père... » Thiers, jeune, ardent, intempérant, impressionnable, se livrait tout au dieu. Ministre, il transportait au ministère sa passion. Il se tenait pour un continuateur, presque