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justice, tous exercés à la recherche historique et qui, s’ils se passionnèrent peu à peu pour le terrible sujet qui les avait sollicités, y étaient venus sans préjugé et parfois non sans méfiance. Déjà M. Frédéric Masson était à l’œuvre, amené aux études napoléoniennes par les raisons qu’il a maintes fois exposées, sans aucune idée préconçue, sans aucune sympathie ancienne pour la dynastie. Et voici que Henry Houssaye, jusque-là cantonné dans l’Antiquité, était, par un hasard que j’ai ici même signalé, — mais y a-t-il des hasards ? — aiguillé vers l’histoire de la Campagne de 1814. Tandis qu’Albert Sorel, tout à l’énorme entreprise historique que représente l’étude de l’Europe et la Révolution, s’acheminait forcément vers la partie de l’œuvre où apparaîtrait le Consul, puis l’Empereur, un jeune maître des requêtes du Conseil d’État, Albert Vandal, était, par Sorel lui-même, orienté vers les études napoléoniennes où il allait tout d’abord frayer la voie à son maître. Profitant des premières publications de M. Frédéric Masson et les exploitant, M. Arthur Chuquet allait étudier, avec la Jeunesse, la genèse de l’homme, et toute une légion d’historiens, — des centaines, — se jetteront dans les années qui suivront sur la période du Consulat et de l’Empire. Dès 1892, le chantier était en plein travail.

De ce travail, le public attendait maintenant avec un intérêt tous les jours grandissant les premiers résultats. Un nouveau mouvement napoléonien se déclenchait. Marbot venait d’apparaître ; que les célèbres Mémoires fussent ou non authentiques, série de galéjades ou chronique épique, qu’importait à la plupart ? Le hussard évoquait toute l’épopée et c’était assez. Et voici qu’après 1892, une légion de soldats se levaient pour joindre leurs voix à celles de ce Gascon, qui tous n’étaient pas si gascons, généraux, colonels, capitaines, sergents, simples grenadiers, vélites et lanciers, de Thiébault à Coignet, de Lejeune à Bourgogne. Et M. Georges d’Esparbès pouvait, en s’en inspirant, écrire sa brillante Légende de l’Aigle. Ensuite vinrent les ministres, les préfets, les dames de la cour, les bourgeois de la ville, les médecins, les domestiques — qui encore ? Tous les portefeuilles furent vidés, tous les tiroirs raclés. Et aux Mémoires se mêlèrent les Correspondances et aux correspondances par milliers les pièces d’archives. On édita ; on réédita ; les vieux écrits reparurent, la duchesse d’Abrantès et Ségur à côté des nouveaux. La librairie historique ne chôma plus : certaines