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lui a dédié le Milan, le Roi et le Chasseur, et lui a adressé des lettres rimées, alertes et spirituelles.

Les Vendôme, arrière-petits-fils de Henri IV et de Gabrielle d’Estrées, étaient, par leur mère, Laure Mancini, neveux de la duchesse de Bouillon, qui elle-même était cousine des Conti. La Fontaine était donc en pays de connaissance au château d’Anet où le duc tenait sa cour. Il retrouvera la même société à Paris dans l’hôtel du Temple, que le chevalier de Vendôme occupe en sa qualité de grand-prieur. Les mœurs des Vendôme, les fêtes d’Anet, les débauches du Temple forment un des chapitres les plus connus de la chronique scandaleuse, pendant la dernière partie du règne de Louis XIV : je vous renvoie à Saint-Simon.

Lorsque La Fontaine publia Philémon et Baucis, où il dépeignait d’une manière aussi touchante qu’inattendue la félicité de deux vieux époux dont


Ni le temps ni l’hymen n’éteignirent la flamme,


il eut la singulière pensée de dédier cette idylle innocente au duc de Vendôme, et, ce jour-là, il loua sans mesure.


Je voudrois pouvoir dire en un style assez haut
Qu’ayant mille vertus vous n’avez nul défaut.


Vendôme dut sourire à la pensée qu’on ne lui trouvait « nul défaut. » Il y en avait un du moins qui lui manquait, c’était l’ingratitude. Bien que Philémon et Baucis commençât par ce vers imprudent :


Ni l’or ni la grandeur ne nous rendent heureux,


il chargea l’abbé de Chaulieu, intendant de ses munificences, de faire quelques largesses à La Fontaine, et bientôt les relations entre le poète et le duc devinrent moins cérémonieuses. On en verra la preuve dans les lettres et les épitres de La Fontaine à Vendôme.

Citons quelques fragments d’une de ces lettres versifiées[1]. Cette poésie familière n’est pas un chef-d’œuvre. C’est une de ces Gazettes rimées, comme La Fontaine avait coutume d’en adresser à ses amis et à ses protecteurs. En outre, elle jette une lumière assez crue sur une vieillesse dont on ne peut dire, comme de celle de Philémon et de Baucis, qu’elle fut « le soir d’un beau jour. »

  1. Lettre à Son Altesse Mgr le Duc de Vendôme, septembre 1689.