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l’Académie française, l’abbé Pouget porta le Saint-Sacrement au malade qui était sur un fauteuil. « La chambre, écrit l’abbé, fut aussitôt remplie de monde, et d’un monde choisi, car le bruit de l’action que M. de La Fontaine allait faire s’était répandu, et un grand nombre de personnes de qualité et de gens d’esprit se joignirent à Messieurs les Académiciens et voulurent être les témoins du spectacle. »

Peut-être eût-on pu épargner au pénitent cette mise en scène et ce concours de badauds. Peut-être aussi eût-on pu adoucir la déclaration humiliante qu’il dut alors adresser à l’assistance et dont les termes lui avaient été certainement dictés. Il se soumettait sans réserve à toutes les conditions exigées de lui, et dans quels termes !

Il est d’une notoriété qui n’est que trop publique, que j’ai eu le malheur de composer un livre de contes infâmes. En le composant, je n’ai pas cru que ce fût un ouvrage aussi pernicieux qu’il l’est. On m’a sur cela ouvert les yeux, et je conviens que c’est un livre abominable. Je suis très fâché de l’avoir écrit… Je voudrois que cet ouvrage ne fût jamais sorti de ma plume, etc…

L’abbé prit acte des promesses, durement, impitoyablement, et La Fontaine reçut le Saint-Viatique « avec un extérieur qui marquait une profonde humiliation et de grands sentiments de piété. »

Le même jour, un gentilhomme envoyé par le duc de Bourgogne remit à La Fontaine une bourse de cinquante louis pour le dédommager du profit qu’il eût tiré d’une nouvelle édition des Contes prête à paraître en Hollande. C’est l’abbé Pouget qui mentionne cette « belle action » du prince alors âgé de douze ans. Cinquante louis ! s’il se fût agi de payer la dédicace d’un poème, rien de plus naturel : c’était l’usage. Mais celle libéralité accordée à un converti, quelques heures après sa conversion ! Il n’a pas tort, le biographe de La Fontaine qui observe à ce propos : « L’intention était excellente, mais il nous semble que le moment fut mal choisi. »

Lorsqu’il fut rétabli et put se rendre à l’Académie, La Fontaine y renouvela sa déclaration devant toute la compagnie.


V. — LES DEUX DERNIÈRES ANNÉES

Tandis qu’il était malade, Mme de la Sablière était morte. Il fut alors recueilli par ses amis d’Hervart dans leur hôtel de