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en tout cas, vous saurez, à plus d’un trait, qu’il n’appartient pas au monde qu’il a dépeint, qu’il n’a pas une âme aussi primitive que celle de ces bonnes gens, qu’il est un monsieur de la littérature, en mission chez des défricheurs de forêt, qu’il honore de sa visite : nous ne serons plus chez les Chapdelaine ; ils seront chez un homme de lettres. Maria Chapdelaine est tout autre chose : un hommage tendre à nos frères canadiens et aux meilleurs d’entre eux qui sont ceux de la terre ; un livre d’où l’auteur est comme absent, où il s’est effacé devant une famille bien modeste, si l’on regarde aux habits et aux formes du langage, mais magnifique de foi, d’union, d’honneur et de courage. Il a vu cela d’abord, et toujours. Son grand cœur l’a guidé. Entre ces paysans français, chrétiens, et lui-même, tout l’accident de la fortune, de la lecture et du métier a disparu, l’étroite parenté s’est révélée. Et si l’on demande le secret profond de ce chef-d’œuvre, je dirai donc : un romancier de France a voulu vivre, de l’autre côté de la mer, chez nos cousins du Saguenay, dans les conditions mêmes où sa propre race avait jadis vécu chez nous, conditions familiales, sociales, religieuses ; il n’a écarté aucune d’elles de parti pris et par orgueil ; il ne s’est pas élevé, en lui-même, contre ce qu’il avait cherché ; il a ouvert son âme et il a tout compris.

Celui qui venait d’enrichir ainsi nos Lettres d’une œuvre qui durera, quittait Montréal le soir de la Saint-Jean d’été 1913, pour se rendre dans les provinces de l’Ouest. Il voulait maintenant étudier la « prairie, » devenue un des greniers du monde, les champs sans rivage, où travaillent des machines conduites par des hommes de tous pays. Hélas ! deux semaines après son départ, comme il suivait à pied, avec un de ses amis, la voie du chemin de fer du Pacifique, il n’entendit pas, il ne vit pas un train qui arrivait à toute vitesse. Le vent et la pluie faisaient rage. Les deux jeunes gens furent écrasés. Louis Hémon n’avait pas trente-trois ans.

Les Canadiens, chez qui le livre fut d’abord publié et tout de suite populaire, ont voulu témoigner leur gratitude à celui qui les avait si bien chantés. Dans le cimetière de Chapleau (Ontario), sur la tombe de l’écrivain, la Société de Saint-Jean a fait placer une plaque de marbre blanc. La Société des Arts, Sciences et Lettres de Québec a fait élever un monument à Péribonka, près de la ferme où le roman fut écrit. Le