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chauffage qui se prend sous terre, qui sont les tourbes, n’a rien qui puisse offenser les plus délicates personnes, soit en odeur, soit en vapeur ? » Parfois, c’est un consistoire ou un synode qui ne veut pas lâcher son ministre : il a besoin de sa doctrine et s’honore de sa gloire. Ou bien c’est la femme du savant, en bonne bourgeoise de chez nous, qui craint les voyages et les pays étrangers. Elle fait des scènes à son mari : qu’il parte seul s’il veut. Elle aime mieux mourir que d’aller vivre en Hollande. Elle en tombera malade, ou bien, qui sait ? dans l’inconduite ou l’impiété. Mademoiselle Rivet était aussi incapable de choir dans l’inconduite que dans l’impiété. Son mari parti, elle mourut.

Ou bien, après dix-huit mois, deux ans de marchandages, l’affaire allait se conclure, quand de France, pour retenir l’homme illustre dont l’insistance de l’étranger faisait comprendre la valeur, surgissaient les offres d’un synode, ou bien d’un prince qui faisait briller l’espoir d’une pension, ou de l’éducation de son fils.

Enfin la place se rendait. Tous les honneurs lui étaient accordés : c’est-à-dire gros traitement, grosses indemnités de route et de logement, au besoin promesse d’un rang ou d’un siège distingué dans les cérémonies de l’Université. Il n’y avait plus qu’à partir. Lentement, après que meubles et livres étaient emballés, lorsqu’il n’y avait plus ni fièvre ni colique ni grossesse de femme pour le retarder, le savant se mettait en route, avec sa famille, et parfois avec quelques jeunes gens qu’il instruisait. Il allait s’embarquer à Dieppe, ou dans un autre port, d’où, à travers l’incommodité et le péril de la mer, à travers la menace des corsaires de Dunkerque, parfois à travers les glaces, et arrêté par elles, il atteignait Rotterdam. Là, quand on arrivait sans être annoncé, c’étaient tous les risques du débarquement et du voyage à travers un pays inconnu, dont on ne sait pas la langue, et où l’on n’a que son latin pour se débrouiller. C’était l’aventure qui arriva une fois à Saumaise, d’aller, sous une pluie diluvienne, abriter la vertu de Mme Saumaise, et les jeunes ans de sa « petite, » dans un méchant cabaret, qui se trouva être un mauvais lieu, ou de cheminer à tâtons, sans lanterne et sans guide, par une nuit d’hiver, d’un bout à l’autre d’une grande ville, pour trouver son gîte.

Mais, quand on était annoncé, ou dès qu’on était reconnu,