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cadet Harte, lequel, poursuivi, fut déclaré irresponsable ; ou encore ce vieux steward d’une grande propriété qui est criblé de balles et laissé pour mort sous prétexte que, quelques mois auparavant, deux « espions » avaient été « exécutés » par les sinn-feiners sur un coin du domaine. Parfois la victime est quelqu’un de notable et haut placé : c’est le lord-maire Mac Curtain de Cork, le maire Clancy et l’ancien maire O’Callaghan de Limerick, tués les uns et les autres sous les yeux de leur femme, les deux derniers en représailles pour le meurtre d’un général qui avait présidé l’enquête sur l’affaire de Mallow. Les gens qu’on a arrêtés disparaissent souvent « sans laisser de traces » : tués alors qu’ils cherchaient à s’échapper, selon la version officielle ; en réalité, « supprimés » discrètement et délibérément. A côté des meurtres individuels il y a aussi les tueries collectives, les feux de salve tirés par les patrouilles en auto sur les passants, les massacres comme celui de Croke Park, à Dublin, le « dimanche rouge ; » pendant un match de football, sous le prétexte (reconnu faux) qu’on avait tiré sur la police, — man hat geschossen, — la police tire et tue ou blesse soixante-treize personnes : c’est la criminelle contre-partie de l’assassinat des officiers anglais commis le matin même par les républicains.

Pour couronner l’œuvre de violence, il y a enfin les opérations d’ensemble, les sanctions collectives, dont les évêques d’Hibernie ont déclaré, dans leur manifeste du 21 octobre 1920, que « c’est la vengeance aveugle de barbares, exercée de propos délibéré contre toute une ville ou toute une campagne, sans la moindre preuve de complicité, par ceux qui ont la mission du gouvernement anglais de protéger les vies et les propriétés et de maintenir l’ordre en Irlande. » Cela commence au début de 1920 à Thurles ; puis au printemps à Fermoy, Limerick, Bantry, etc. ; en été et en automne à Tuam, Queenstown, Galway, Balbriggan, Trim, Mallow, etc. Chaque fois, avec des variantes, le thème est le même. Il y a eu dans la région un crime des sinn-feiners, ou une tentative d’attentat. Alors, en pleine nuit d’ordinaire, arrivent des auto-camions remplis de police ou de troupe, les hommes éventuellement en civil et masqués, sans officiers, avec tout le matériel nécessaire, explosifs, pétrole, bombes incendiaires, outils de tranchée. Fusillade. Les habitants fuient à demi vêtus dans la campagne.