Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/19

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de New-York, le Woolwort Building, et a su donner à cet édifice de plus de quarante-cinq étages, un aspect à la fois massif et élancé. L’ensemble est surprenant, mais agréable à l’œil : c’est une formule d’architecture géante des plus intéressantes. Nous avons pris un détour pour voir dans Broadway les affiches lumineuses. Je m’étais émerveillé cet hiver à Londres devant une automobile de feu dont les roues semblaient tourner, tandis que le voile du chapeau de la dame de feu qui était dans l’automobile semblait palpiter au vent, comme une flamme. L’ami qui m’accompagnait m’avait dit : « Ce n’est rien que cela ; vous verrez bien autre chose dans Broadway. » Et, en effet, le spectacle est fantastique, féerique. Il est onze heures. Des milliers d’ampoules électriques répandent sur l’avenue et sur la sombre foule qui sort des théâtres une nappe de lumière intense ; on y voit comme en plein jour. Sur le toit d’une haute maison, de grandes lettres glissent de droite à gauche ; puis, à un moment, brusquement, chaque lettre d’un bleu électrique s’évanouit dans la nuit sombre et ces lettres forment des mots, et les mots une longue phrase qui nous invite à faire nos achats dans tel magasin de nouveautés, le plus grand du monde naturellement. Ces affiches lumineuses représentent les sujets les plus variés. Ici un chat court après une bobine de fil ; là des notes sortent d’un phonographe. Dans une autre affiché qui occupe toute la largeur d’une maison, on voit deux grandes fontaines lumineuses, deux paons gigantesques qui déploient leurs immenses queues dont les ocellations bleues et vertes vibrent et chatoient. Ce n’est pas tout : au centre de l’affiche, six bonshommes en bonnet pointu, dessinés par des lignes de lumière rouge font des mouvements de culture physique, avec leurs bras et leurs jambes schématiques. Et tout cela qui coûte à établir et à faire jouer des sommes énormes, est une réclame pour la Spearmint, une gomme à la menthe qui est à la portée de toutes les bouches, dont les petites dactylographes se montrent très friandes et qui est mâchée par un grand nombre de citoyens, dans tous les Etats-Unis du Massachusets à la Californie, et de la Floride à l’Orégon.

Par le déploiement et le flamboiement de ces affiches, ce coin de Broadway est, je pense, une chose unique au monde. Prodigalité, profusion, on surprend là une des caractéristiques de la civilisation américaine et je songe, je ne sais pourquoi, à