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la pauvre et touchante illumination de mon petit village, dans le Vexin, le 14 juillet, avec quelques godets de verre bleu, blanc et rouge remplis d’une huile jaune où trempe une mèche fumeuse.


Mercredi 26.

Il fait ce matin le plus beau temps du monde : c’est le printemps, c’est l’été. Après déjeuner, M. Gilbert est venu nous chercher pour nous conduire chez lui. Là il nous a confiés à deux dames fort aimables, sa femme et sa fille, qui nous ont fait faire une belle promenade en automobile dans les environs de New-York. Nous sommes revenus par un grand boulevard qui n’existait pas il y a deux ans et qui est maintenant bordé de maisons et de magasins. Le long du mur d’une maison en construction, une vingtaine de maçons travaillent, presque coude à coude. On comprend que le mur s’élève vite dans ces conditions. Chez nous pour le même travail, il y aurait six hommes espacés, disséminés.

Nous traversons le quartier nègre. J’aurais bien voulu m’arrêter pour voir de plus près les gentlemen de couleur, les négresses et les négrillons, mais nous devions prendre le thé à cinq heures (et il était déjà cinq heures et demie) chez M. Whitney Warren. Cinq minutes pour traverser le quartier nègre ; et, tout de suite, l’Amérique est le pays des contrastes violents, nous sommes dans le quartier riche où demeurent, nous dit Mrs Gilbert, « ceux qui ont beaucoup d’argent. » Cinq minutes pour traverser le quartier riche ; cinq minutes pour visiter un club de dames où il y a, en ce moment, une exposition des portraits de Washington. Enfin un ascenseur rapide nous envoie très haut chez M. Whitney Warren. Ici les étages supérieurs sont recherchés à cause de la vue. J’ai connu M. Whitney Warren à Paris dans les commencements de la guerre. Ce grand architecte américain, grand par la taille et par le talent, est une figure très parisienne. Pendant la guerre et depuis, il s’est montré notre ami fervent et fidèle. On me présente à une dame qui m’apprend que son ancêtre était Français, qu’il s’est jeté à la mer dans un tonneau, à La Rochelle après la révocation de l’Edit de Nantes, qu’après quelques heures de cette navigation de fortune, un navire l’avait recueilli et amené en Amérique. Les Américains se plaignent, à tort selon moi, de n’avoir pas de passé. Après les grandes immigrations du siècle