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les Roumains Hurmuzescu, Miculescu et Vasilesco Karpen, — qui, grâce à la richesse des moyens de travail dont dispose le laboratoire, ont mesuré avec précision les plus importantes constantes de la physique.

Durant la guerre, Lippmann mit sa science et son infaillible jugement au service de la patrie menacée ; il s’attacha particulièrement aux problèmes relatifs aux sous-marins, et, là comme partout, sut faire œuvre utile.


Lippmann subordonna toujours tout aux exigences de la recherche scientifique. Il y trouvait la satisfaction des besoins les plus profonds de sa nature. A un de ses collaborateurs qui lui posait l’éternelle question qui se dresse devant les hommes au soir de leur vie : « Si vous aviez à recommencer votre existence, quelle carrière choisiriez-vous ? — La même, » répondit-il sans hésiter.

Sauf pendant les courtes périodes de ses vacances qu’il passait le plus souvent en Suisse et dans les Alpes, il allait, matin et soir, à son laboratoire. Quand sonnait l’heure, il partait paisiblement, puis revenait le lendemain, et reprenait sa tâche au point où il l’avait laissée. Cette continuité et cette régularité rappellent, dans un autre ordre, celles de notre grande et admirable George Sand, qui posait sa plume à heure fixe, dût-elle s’interrompre au milieu d’une phrase. Gabriel Lippmann poursuivait son travail scientifique avec une ténacité tranquille et glacée ; il ne manifesta jamais ni lassitude devant les échecs, ni enthousiasme devant les victoires. Le jour où, après des années d’insuccès, il vit sur la plaque photographique qui séchait, apparaitre enfin les couleurs irisées du spectre, il dit simplement à son préparateur : « Cette fois, je crois que cela y est. »

Son aspect extérieur était celui du savant absorbé par l’idée fixe. Que de fois je l’ai croisé dans cet étroit espace où s’écoula presque toute sa vie de savant, en un incessant va-et-vient entre son laboratoire de la rue Victor Cousin et sa maison toute proche, de la rue de l’Éperon, absorbé dans son songe intérieur, avec cet air distrait des grands inspirés qui passent au milieu des hommes sans les apercevoir ! Sa femme était hantée par la crainte qu’il se fit écraser. Cette préoccupation tourna à l’obsession après l’accident qui nous enleva Pierre