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Curie. Était-il de cinq minutes en retard, elle ne vivait plus.

La carrière scientifique de Gabriel Lippmann fut celle d’un solitaire. Il suivait son idée propre sans tenir compte de ces caprices de la mode dont l’empire n’est pas moindre parfois dans les laboratoires des savants que dans les ateliers des couturiers. Lippmann se tint toujours en dehors de ces courants momentanés. Aucune nouveauté, si retentissante fùt-elle, ne le détournait de son sillon. « La vie est trop courte pour tout ce que l’on a à faire, » disait-il parfois.

Le secret de son constant succès dans tant de questions différentes, est qu’il savait se mettre au centre même des choses. A la base de ses découvertes on trouve toujours une idée très simple. Aussi devait-il fatalement aboutir : que l’expérience réussît ou qu’elle échouât, il ne changeait pas sa manière de voir. S’il n’avait pas abouti, c’est qu’il s’y était mal pris. Et il recommençait indéfiniment. Seule l’exécution matérielle pouvait être difficile : c’est ainsi que le cœlostat comportait une condition fort délicate à réaliser ; c’est ainsi encore que la photographie des couleurs supposait l’existence d’une couche transparente sans grains dont la préparation demanda des années.

L’élégante simplicité de ses conceptions explique qu’il ait pu, pour les ébaucher, se contenter d’abord des moyens les plus rudimentaires. Avec une épingle à cheveux, quelques allumettes, un bâton de cire, il établissait les modèles des appareils les plus délicats. J’ai vu le détecteur magnétique original de Marconi fabriqué par l’inventeur italien avec une boîte à cigares. Lippmann construisit son premier cœlostat avec un réveille-matin acheté au bazar de l’Hôtel de Ville, et sur lequel il adapta un miroir.


Lippmann avait sur l’enseignement des idées très personnelles. Ses années d’études lui avaient laissé de mauvais souvenirs et il jugeait avec sévérité notre système universitaire français. Dans un discours qu’il prononça en 1905 à Lyon comme président de l’Association française pour l’avancement des Sciences, il a exposé ses vues à cet égard. L’âpreté de l’accent et la rigueur des critiques surprennent au premier abord, tant elles s’écartent de la forme mesurée et ménagée de ses autres écrits. On y sent comme l’explosion de sentiments longtemps