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Et le mort, réconforté, s’éloigne, balancé sur l’épaule de ses amis.

La mosquée d’Hadji Edden bey, toute proche du bazar, est aussi décorée de peintures anciennes : corbeilles de roses, nœuds Louis XVI, guirlandes de fleurs et de fruits enlaçant des paysages naïfs. Ces palais, ces jardins féeriques, ces cours d’eau, ces navires, bien plutôt qu’une copie de la réalité, sont le rêve de quelque peintre exilé qui avait la nostalgie de Stamboul et de la Corne d’Or.

Les peintres de Tirana ont constamment sous les yeux ces thèmes d’une grâce vieillotte, et ils s’en ressouviennent, lorsqu’ils ornent de fleurs et de nœuds éclatants, sertis dans des arabesques, les coffres de mariage et ces berceaux légers que les femmes transportent sur leur des pendant les longs trajets.

Dans les échoppes rapprochées, on regarde travailler les artisans méditatifs. Ils ne s’interrompent pas, et ne se hâtent pas non plus. Ils savent que le temps leur est pleinement dispensé et qu’ils peuvent achever à loisir la peinture minutieuse, l’aiguière qu’ils martellent, le fin travail d’argent, la broderie d’or commencée sur le boléro de gros drap. Tourneurs de porte-cigarettes, malaxeurs de tabacs, ceux qui confectionnent les fez ou les « opings, » cette chaussure basse en cuir souple, dont l’extrémité se recourbe, tous ils ont la même aisance sérieuse, et ce grave sourire lorsqu’on admire leur travail. Et celui-ci, qui avait mis tremper une rose dans un verre en face de lui, a retiré la rose et me l’a offerte.

Lorsque le chant du muezzin tombe du minaret, les musulmans interrompent leur besogne et s’en vont à la mosquée, après avoir lavé dans le ruisseau leurs pieds et leurs mains. Le vendredi après-midi, le bazar se ferme. Et il se ferme l’après-midi du dimanche. Ainsi l’on a résolu un délicat problème et donné satisfaction à Jésus et à Mahomet. Tirana, qui compte 15 000 musulmans et 2 000 chrétiens, ménage exactement la foi des uns et la foi des autres.

Le jeudi, jour du marché, la ville change de physionomie. Dès l’aube, les pavés ont retenti sous le fer des chevaux, longues caravanes, descendues des montagnes, et qui apportent les marchandises confectionnées dans les lointains villages. Pièces de grosse laine tissée, couvertures en poils de moutons, nattes et tapis, cotonnades faites au métier, transparents tissus de