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soie, et aussi les costumes anciens, les velours chamarrés, les manchettes soutachées et brodées d’or, toutes ces étoffes prennent possession de la rue, s’amoncellent devant les femmes immobiles en jupes sombres, assises sur leurs talons, voilées de blanc ou de noir et, quelques-unes, le visage découvert.

Parallèle à ce marché des étoffes, le marché des grains envahit une place entière. Les hommes se tiennent accroupis entre les sacs de blé. Des femmes tziganes se fraient un passage, portant sur leur des des peaux d’animaux toutes raides. Devant la mosquée, les potiers ont installé leurs cruches poreuses au col d’amphore.

Vêtements blancs et noirs, visages bronzés, draperies flottantes... Ce qui étonne nos oreilles occidentales, c’est le silence de cette foule. Il semble que ce soit le soleil qui fasse tout le tapage, exaltant les tons vifs des colonnades, les rouges, les ors, le brillant des soies, les couleurs ardentes des fruits, les tas d’aubergines et de tomates écroulés à même le pavé... et ce blanc surtout, ces laines blanches, ces fez, les chausses blanches des hommes dans le cadre éclatant des façades passées à la chaux. On a l’impression d’une lumière bruyante... mais les voix humaines demeurent assourdies.

Silencieux et dignes comme le paysan turc, ils n’ont rien de son fatalisme et de sa nonchalance rêveuse, ces durs montagnards qui se sont toujours insurgés contre leur destin. Ils ont gardé intact leur type de grands Illyriens au crâne hyperbrachycéphale, une des races les plus anciennes et les plus belles de l’Europe. Avec leurs visages accentués, leur long nez aquilin, leurs yeux gris pu noirs qui étincellent tout à coup sous les sourcils foncés, ils ont une noblesse rude. Ils semblent des aristocrates d’un autre âge, enfermant une passion secrète. On dirait des hommes très anciens, oubliés par la course des siècles, restés en marge, et retrouvés par miracle, avec leur âme indemne, fière et fermée, leurs coutumes archaïques, leur culte de l’honneur, leur force que n’ont point entamée les avatars de la civilisation.

Ou s’étonne de voir les femmes souvent petites et menues à côté d’eux. Mariées très jeunes, avant leur complet développement, elles ont des maternités nombreuses, et partagent aux champs toutes les besognes de l’homme. Leurs beaux yeux