Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/105

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous sourient entre leurs voiles. Comme on voudrait connaître leur pensée !

Parfois, en écoutant raconter quelque trait de leur vie, on a l’impression qu’une fenêtre s’entr’ouvre, laissant pénétrer, sur l’inconnu de ces âmes, une étroite et brève clarté...

Dans la chambre blanche, vide, d’une maison chrétienne, toute pareille à la maison musulmane, une très jeune femme m’a reçue, et, maintenant, assises sur les nattes, nous causons, et le petit frère, debout en face de nous, traduit dans un français approximatif les lentes phrases échangées. Mais il n’est pas toujours besoin de paroles. Je sais pourquoi cette robe noire emprisonne un corps qui semble avoir fondu, et pourquoi ce visage de recluse adolescente est si creusé et si pâle, depuis deux mois, privé de grand air, dans l’étroite chambre blanche. Elle pleure son mari, tué en combattant au pied des montagnes mirdites. Et je sais aussi que cette veuve de vingt ans, suivant la coutume du pays, ne se remariera pas.

Détournant ses yeux pleins de larmes, pudiquement retenues, elle m’offre ce qu’elle a de mieux à me donner, la photographie du mort, en uniforme de sous-officier : une figure quelconque, jeune et pleine, qui sourit devant l’objectif.

Je regarde au passage les mains frêles et tremblantes, des mains qui ne connaissent que les travaux d’aiguille, — ces mains qui ont tué...

Elle fut aimée par un autre, un ami du mari, et celui-là c’était un héros de grande allure, un audacieux, vénéré de tous les patriotes parce que, d’un coup de fusil, il avait supprimé un traître. Dans ce pays de mœurs très chastes, lui savait bien que son amour était sans espoir. Il employa le guet-apens. Il attira la jeune femme jusqu’à un village où elle croyait que son mari l’attendait. Et il l’enferma dans une maison complice. Elle ne perdit point la tête, sut résister, gagner du temps et parvint à s’enfuir. De retour chez elle, un soir qu’elle était seule, elle entendit contre le mur un bruit insolite. Cette femme, presque enfant, qui n’était pas romanesque et ne cherchait pas les sensations rares et les remords pervers, et ne revendiquait pas son droit au plaisir, se souvint seulement qu’elle était la femme d’un autre... Elle se pencha à la fenêtre, aperçut l’échelle et l’ombre qui montait. Elle se retourna, vit au mur les pistolets