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de son mari, en saisit un et fit feu dans le noir. L’homme, atteint à bout portant, fut tué net.

Les juges ont acquitté l’épouse irréprochable.

Je regarde les doigts fragiles qui tremblent tandis qu’elle glisse dans une enveloppe la photographie, en prononçant quelques mots incertains.

— Elle a été chez les Mirdites, traduit le petit frère, mais elle n’a pu trouver la tombe...

J’essaie d’apercevoir le douloureux visage détourné. Peut-être songe-t-elle à la rigueur du destin, plus vindicatif que les juges... à la condamnation mystérieuse qui veut que l’on paie œil pour œil, dent pour dent... Peut-être offre-t-elle au mort bien-aimé, comme une couronne sanglante, sa fidélité intacte, et cette offrande devient sa seule consolation.

Dans la rue déserte et noire où le petit frère m’accompagnait, j’ai pensé à voix haute sans m’en apercevoir :

— A vingt ans... c’est dur...

Et j’entendis l’adolescent qui me remettait sévèrement à ma place :

— Ça... ce n’est pas notre affaire... c’est Dieu...


L’ALBANIE EN FACE DE l’EUROPE

Peu à peu, dans la maison à moucharabieh d’où l’on assiste à la vie paisible de la cité, dans la chambre blanche au long divan bas, où s’asseyaient tour à tour les membres du Parlement, les prêtres, les notables, au cours des conversations lentes, à mi-voix, traduites mot à mot, ponctuées par la tasse de café et la cigarette traditionnelles, nous avons vu se préciser le visage de l’Albanie.

Une sourde angoisse d’abord, qui s’exprimait en termes mesurés et poignants : quelle solution l’Europe va-t-elle donner à la question des frontières ? L’Albanie pourra-t-elle vivre ? N’a-t-elle point assez souffert ? Est-elle condamnée à disparaître, livrée aux convoitises de voisins trop avides ?

— Cela, nous ne l’accepterons jamais... Nous lutterons jusqu’à la fin... Nous sommes prêts à mourir...

Cette parole, nous l’avons entendue prononcer par les ministres et par les paysans, Et ce n’était pas là une vaine figure...