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A cette heure si grave, les Albanais ont prononcé entre eux la « bessa » (serment), une sorte d’union sacrée : ils ont juré de remettre à plus tard tous leurs différends, d’abandonner leurs vendettas. Tous ensemble ils font face au danger.

Ils ont été à tel point déçus, trompés, toutes ces dernières années !

Les diplomates dans leurs marchandages disposaient de leur sol, et les armées le piétinaient à l’envi...

— Depuis dix ans, nous sommes obligés de nous battre ou de subir la guerre des autres !

Dix ans... Depuis l’année 1912 où l’Albanie se révolta définitivement contre le joug des Turcs et obtint son autonomie. Elle n’eut pas le temps de se réjouir de cette victoire... Peut-être ce premier ébranlement donné à l’Empire encouragea-t-il ceux qu’on appelait alors » les quatre petits peuples frères » à déclarer la guerre au Sultan. Néanmoins, les Grecs envahirent le Sud de l’Albanie.

Pendant que s’élaborait le traité de paix, l’Albanie échappa au démembrement qui la menaçait. La politique autrichienne, la réservant sans doute à une pénétration pacifique, imposa la création d’une Albanie indépendante.

Six Puissances la reconnurent. On lui donna un roi. On lui donna des frontières nouvelles qui la dépouillaient d’immenses territoires peuplés presque uniquement d’Albanais : on lui retirait un million d’hommes, et la moitié de son sol. La commission internationale, qui fixa ces frontières, obéissait sans doute à l’influence occulte de puissants voisins.

— Et pourtant, ce sont ces frontières de 1913 que nous réclamons aujourd’hui... Seulement ces frontières ! Qu’on nous les laisse et nous pourrons essayer de vivre.

Ils ne les eurent pas longtemps, leurs frontières de 1913... Les Grecs, contraints d’évacuer la région du Sud, avaient brûlé de nombreux villages, la ville de Ljaskoviki et celle de Tepeloni au printemps 1914. Sitôt la grande guerre déclarée, ils se hâtèrent de revenir. Les Serbes aussi s’installèrent. Et le piétinement commença sur le sol de l’Albanie. La retraite serbe d’abord.

— Nous aurions pu les empêcher de passer. Mais ils étaient nos hôtes, n’est-ce pas ! Naturellement ils ont souffert. Nos villages de montagne sont très distants et très pauvres. Et eux,