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plutôt que de l’abandonner, — et tout le reste flottant encore :

— Nos frontières nous seront-elles laissées ? Aurons-nous la paix ? Pourrons-nous travailler enfin ?

Ce peuple demeuré à la porte de l’Europe, à l’écart, presque inconnu, a ceci de particulièrement attachant qu’il fut jusqu’ici préservé de la civilisation hâtive, improvisée, toute de surface, dont les jeunes nations, trop impatientes, s’emparent avec une hâte imprudente, en abandonnant leur caractère et leurs traditions.

Le rêve séculaire de l’Albanie, rêve modeste et secret, fut celui d’une autonomie sous le régime turc. C’est ce rêve que les patriotes albanais, de génération en génération, transmettaient à leurs fils.

— Pense toujours à l’Albanie, disait l’un d’eux, peu avant de mourir, à son fils de treize ans.

L’enfant pensait toujours à l’Albanie. Il se bornait encore à rêver l’autonomie sous le régime turc. Devenu homme, à cause de ce rêve dont il ne se cachait point et qu’il exprimait toujours, il fut exilé en Asie-Mineure. Aujourd’hui il occupe de hautes fonctions dans le gouvernement de son pays. Le rêve qu’il fit tout enfant est dépassé. L’Albanie a proclamé son indépendance. Mais la lutte n’est point terminée. Comment finira-t-elle ?


LE SOUVENIR DE SCANDERBEG

Le souvenir de Scanderbeg plane sur toute l’Albanie. Dans le moindre village, chez les chrétiens comme chez les musulmans, on peut contempler ses traits, le profil d’aigle, la barbe majestueuse, cette grave expression de force obstinée.

Les générations de paysans, dans les régions du Nord, se transmettent, depuis le XVe siècle, le deuil de Scanderbeg : le court manteau noir à franges longues qu’ils portent, rejeté sur l’épaule, les manches pendantes.

L’aigle double de ses armoiries illustre le drapeau national. Le héros catholique, vainqueur des Turcs pendant vingt-trois ans et jusqu’au jour de sa mort, est devenu le symbole même de cette passion de liberté qui n’a jamais cessé de travailler ce peuple.

Mais si l’on peut dire que la pensée de Scanderbeg est partout