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présente, elle l’est davantage encore à Kruja, la petite ville accrochée à mi-hauteur de la montagne, dominant la plaine de Tirana et qu’on aperçoit de si loin, comme une volée de cailloux blancs éparpillés au pied de la haute paroi de calcaire.

Kruja, où Scanderbeg est né, fut sa capitale et le centre de toute la résistance opposée à l’invasion turque. Kruja est l’image même de la résistance. La muraille abrupte de sa montagne l’appuie victorieusement. Ses maisons, avec leurs façades fermées, et leurs fenêtres tout au faite des façades, ressemblent à ces forteresses domestiques, les « Kula, » que l’on voit se multiplier dans les villages du Nord. Le bazar qui suspend à pic sur le vide de longs murs aveugles est lui-même une forteresse. Les échoppes, rejoignant presque leur avant-toit, ne laissent passer qu’une étroite bande de ciel et se resserrent pour prendre moins de place.

Tout au sommet de l’épaulement, plus haut encore que cette ancienne maison où s’est installée la préfecture et dont la galerie croulante conserve une fresque naïve, la tour trapue, solidement campée sur sa base élargie, s’affirme comme un défi... la tour de Scanderbeg. On s’assoit à ses pieds sur le mur de l’ancienne forteresse et l’on songe à cet enfant prédestiné qui jouait sur ce rempart. Il était si beau et si brave déjà habile à monter à cheval, vainqueur dans tous ses jeux, que les habitants l’appelaient « notre prince, » quoiqu’il fût le plus jeune des fils de Jean Castriote.

Il avait neuf ans lorsque son père, contraint de l’envoyer en otage, à la cour du sultan Amurat II, lui dit en lui donnant son dernier baiser :

— Ne déçois pas notre espérance...

L’enfant emporta cette parole, et sans doute emportait-il aussi ce visage de Kruja, que nous contemplons aujourd’hui, et que la civilisation n’a point retouché : la cité opiniâtre, cramponnée aux flancs roides, avec ses maisons fortes, ses bois d’oliviers, ses murailles, ce long bazar étroit surplombant le vide, et la perspective en raccourci de la chaîne rocheuse, la houle des collines qui vont mourir dans la plaine, et le littoral infini, toutes les côtes d’Albanie enveloppées d’azur.

Georges Castriote grandit à la cour du Sultan qui s’émerveillait de cette intelligence, de cette adresse, de cet indomptable courage. A dix-huit ans, le jeune homme commandait