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Je crois l’effort allemand brisé sous Verdun. Le monstre ne fait plus peur : il a faim et s’affaiblit. Il rage et se convulsionne encore, mais il est perdu. Son agonie, toutefois, peut durer encore longtemps. Or donc, courage, ayons l’âme haute : nous allons assister à l’un des moments les plus sensationnels de l’histoire du monde.


2 mai 1916.

C’est un fait d’expérience qu’il n’y a pas de succès, de talent, de supériorité sans la contre-partie d’un sentiment d’envie.

Ces constatations font toujours souffrir ; elles froissent le cœur. Elles ne doivent produire qu’un résultat : stimuler l’énergie, la fierté, la volonté de tenir le coup, de s’imposer. Conserver le sourire et le calme ; faire simplement ce que l’on doit.

J’ai reçu un « garde à vous » en vue d’une échéance peut-être immédiate [1].


EN PICARDIE


26 juin 1916.

Me voilà en train de m’installer, mais j’ai une certaine déception ; pour le moment, ma consigne est de ronfler ; si cela va bien, dans un mois, par exemple, ça changera peut-être ?...

J’ai changé mon cheval borgne contre un aveugle. Mais, comme tu le penses, cela ne m’affecte pas. Il ne faut pas voir les choses subjectivement ; c’est la grosse erreur de ceux qui n’ont pas réfléchi sur la vie, et aussi leur châtiment. Qui vult salvare animam suam, perdet eam. Et puis, un soldat, quel que soit son grade, n’a pas à se vexer de recevoir une consigne, alors qu’il en préférerait une autre. Ce n’est pas pour lui qu’il doit travailler. Enfin, et surtout, l’homme s’agite, et Dieu le mène.

Donc, accomplir sa tâche au mieux, et laisser dire... et courir.


11 juin 1916.

L’officier, comme le religieux, doit être comme un cadavre, devant les ordres qu’il reçoit.

  1. En mai 1916, l’État-major de la 3e armée fut retiré du front d’Argonne et mis en réserve à Breteuil (Oise) en vue de l’offensive prévue par le général Joffre en Picardie et dans la Somme. Les circonstances ayant imposé une réduction du front d’attaque, la IIIe armée qui devait s’engager dans la région de Roye ne participa pas à l’offensive du 1er juillet sur la Somme. Destinée à être intercalée entre les 6e et 10e armée (Fayolle et Micheler) dès que leurs succès le permettraient, elle reçut la mission de tenir provisoirement le front de Roye-Lassigny-Vic-sur-Aisne.