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4 juillet 1916.

C’est la vérité humaine, la vérité militaire, la sagesse, de faire son devoir là où un ordre régulier vous place. Certes, il appartient à tout être intelligent de choisir sa voie, d’avoir une préférence ; mais, lorsque la réalisation d’un projet ou d’une espérance ne se produit pas, il faut avoir la force de ne pas se déplier et de savoir attendre.

Les choses paraissent bien aller sur la Somme ; mais, pour moi. c’est encore le supplice de Tantale ; mon action ne se produira que si les événements deviennent importants, c’est-à-dire lorsque l’ennemi sera assez ébranlé pour qu’on fasse quelque chose de général. Pour les Anglais, c’est plus dur. Le Boche met, je crois, un point d’honneur particulier à n’être pas battu par eux ; mais ils sont résolus, ils persistent et, comme ils ont d’énormes moyens, j’ai bon espoir.


8 juillet 1916.

Le plaisir que m’a causé cette lettre a été suivi, hélas ! par une peine amère que m’apportait celle d’un soldat du 340e, cousin de l’ordonnance de mon pauvre Marcel [1].

Avec un tact surprenant de la part d’un homme dont l’instruction est peu développée, il m’annonce, en termes prévenants, que notre famille compte une gloire et une victime de plus.

Marcel est tombé le 27 juin sous Verdun, en menant son bataillon à l’assaut, d’une balle de mitrailleuse à la tête qui l’a tué sur le coup. Il était, dit son soldat, très calme et énergique en donnant ses derniers ordres.

Je ressens cruellement cette perte, car mon pauvre frère avait un cœur extrêmement sincère et affectueux. Il nous aimait beaucoup. Il m’est dur de penser que, lors de la réunion qui suivra la guerre, il ne viendra pas avec sa chère Suzanne nous égayer de son entrain.

Mais je m’incline devant la volonté de Dieu, tout en plaignant profondément sa femme. Écrivez-lui, vous aussi. Annonce en effet à ton frère ce glorieux malheur.


15 juillet 1916.

Les renseignements complémentaires qui m’étaient annoncés

  1. Commandant Marcel Humbert, du 340e d’infanterie, frère du général. Son second frère, le commandant Henri Humbert, du 136e d’infanterie, avait été tué à la tête de son bataillon à la bataille de Charleroi.