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qu’ils appellent ainsi n’est que cet espace sensible que jalonnent ces repères très éloignés que sont les étoiles. Le plus éminent des défenseurs actuels de la conception newtonienne, M. Paul Painlevé, vient de publier une brochure très intéressante et pleine d’idées [1]. En partant de conceptions que, par une intuition bien curieuse et presque divinatrice, il avait émises, il y a de longues années, il y expose une tentative remarquable faite par lui dans le dessein d’adapter la mécanique classique aux faits nouveaux révélés par Einstein et par l’étude des particules ultra-rapides. Cette belle tentative de M. Painlevé est faite sans que son auteur renonce à rien abandonner des prérogatives du « temps absolu » et de l’ « espace absolu. » Ce premier essai de conciliation entre le relativisme et le classicisme sur le terrain des faits, ne peut manquer d’avoir du retentissement. Mais ce que j’en veux surtout retenir, c’est que M. Paul Painlevé « absolutiste » impénitent emploie sans cesse, et bon gré mal gré, le langage même de Macb, soit qu’il écrive : « Imaginons par exemple un astre sans rotation par rapport aux étoiles, » ou encore : « Imaginons trois directions allant du centre du soleil à trois étoiles choisies une fois pour toutes ;... tous les axiomes de la mécanique sont vérifiés sensiblement, si les mouvements sont ainsi repérés (par rapport à ces trois directions). »

C’est reconnaître d’une façon implicite que seul un repérage des mouvements sur les astres éloignés, c’est-à-dire sur des objets réels, est réalisable.

En somme, on voit qu’» absolutistes » et « relativistes » sont d’accord lorsqu’ils font des expériences, des observations, pour rapporter la loi d’inertie et toutes les lois mécaniques aux étoiles fixes, pour l’espace, et à la rotation de la terre (par rapport à celles-ci) pour le temps. Seulement, les premiers se croient autorisés à aller plus loin, à extrapoler mentalement leurs résultats expérimentaux pour imaginer ces entités insaisissables (encore que fort commodes pour les calculs), qu’on appelle « espace absolu, » « temps absolu. » Les seconds au contraire se rivent éperdument aux réalités observables et sensibles comme le capitaine à sa dunette dans la tempête nocturne ; et ils s’interdisent de rien affirmer sur ce que l’Océan, là-bas, roule dans ses flots noirs.

  1. Les axiomes de la mécanique (examen critique), avec une note sur la propagation de la lumière, par Paul Painlevé. Gauthier-Villars, 1922.