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Encore que postérieures aux idées de Mach, celles d’Henri Poincaré n’en ont pas moins eu, sur un plan un peu différent, une influence aussi profonde, aussi vaste et féconde.

Tandis que Mach, expérimentateur hors pair, philosophe et mathématicien médiocre, s’attachait au côté purement expérimental des phénomènes et des théories, c’est de plus haut que Poincaré, philosophe et mathématicien, a visé le problème tout entier. C’est en quelque sorte un agnosticisme a priori, une sorte de scepticisme transcendantal, la conviction à laquelle il était arrivé que nous ne pouvons saisir autour de nous que des relations et jamais la chose en soi, ce sont ces vues d’aigle qui ont imprimé à la grande pensée de Poincaré sa démarche si particulière en ce domaine.

Poincaré imagine qu’un homme soit transporté sur une planète dont le ciel serait constamment couvert d’un épais rideau de nuages, de telle façon qu’on ne puisse jamais apercevoir les autres astres ; sur cette planète on vivra comme si elle était isolée dans l’espace. « Cet homme, dit Poincaré, pourra cependant s’apercevoir qu’elle tourne, soit en mesurant l’aplatissement (ce qu’on fait d’ordinaire en s’aidant d’observations astronomiques, mais ce qui pourrait se faire par des moyens purement géodésiques), soit en répétant l’expérience du pendule de Foucault. La rotation absolue de cette planète pourrait donc être mise en évidence. »

« Il y a là un fait qui choque le philosophe, mais que le physicien est bien forcé d’accepter. »

« On sait que de ce fait, Newton a conclu à l’existence de l’espace absolu ; je ne puis en aucune manière adopter cette manière de voir. » Et ailleurs, Poincaré développe les raisons de son opposition formelle à la conception newtonienne. « Il n’y a pas, affirme-t-il, d’espace absolu, et nous ne concevons que des mouvements relatifs. » Et sans cesse il revient sur cette affirmation de principe : le mouvement relatif n’est pas seulement pour nous un résultat d’expérience, mais a priori toute hypothèse contraire répugnerait à l’esprit. Mais, ajoute-t-il, pourquoi, si le principe du mouvement relatif est vrai, ne s’impose-t-il à nous que dans le cas des mouvements rectilignes et uniformes ? « Il devrait s’imposer à nous avec la même force, si ce mouvement est varié ou, tout au moins, s’il se réduit à une rotation. Or dans ces deux cas le principe n’est pas vrai. »