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cours de ses navigations, il n’a cessé de rêver à cette petite ferme de l’ile Mc Gill vers laquelle aujourd’hui il s’achemine enfin.


Le capitaine Mac Ebrath n’aimait point la mer, ne l’avait jamais aimée. Il en tirait sa subsistance : la mer n’était que cela, un endroit où l’on gagne sa vie, comme est pour d’autres la banque, le moulin, la boutique. Le Romanesque n’avait pas chanté pour lui de sa voix de sirène, l’Aventure n’avait point surexcité son sang. Il manquait d’imagination... Et maintenant du pont du Tryaspic, dont il était le capitaine, il regardait le port de Dublin dans lequel ils allaient entrer...


L’autre histoire d’Irlande, Samuel, mêle à la vie ce que les Irlandais y mêlent toujours, une rêveuse superstition. Une femme a mis au monde une série d’enfants et les a perdus, et, trois de ces enfants, elle s’obstinait à les appeler Samuel. Un malheureux frère de cette femme avait porté ce nom. Samuel Dundee s’était marié un jour, puis la semaine d’après, était parti en mer, en même temps que deux de ses amis mariés à la même époque que lui. Leur église était neuve, le desservant nouveau, les formalités mal remplies et les trois mariages furent déclarés nuls par le trop scrupuleux ministre de la petite paroisse. Les trois femmes sont atterrées. Albert Mahan revient le premier, son bateau n’avait pas encore passé le port de Dublin. Eddie Tro rentre six mois plus tard, mais Samuel Dundee ne reparaît pas…

Au bout de deux ans, on déclare son bateau perdu, corps et biens ; le Lloyd l’inscrit comme disparu ; la femme cesse de recevoir la moitié de sa paye de la Compagnie d’affrètement. Elle a un enfant. Elle se croit non mariée, elle croit son fils un enfant naturel, et elle se jette avec lui dans la baie. Mais Samuel Dundee n’était pas mort. Après trois ans d’absence, on le voit reparaître : en apprenant ce qui s’est passé, il se tue sur la tombe de sa femme et de son enfant, injuriant le pasteur qui a été la cause de tout le mal, et blasphemant la religion. Sa sœur, Margaret Henan, met au monde un garçon et en dépit du blâme général, le nomme Samuel. N’est-ce pas un défi, car le Malin, le Pervers, s’est certainement mêlé de la mort de Samuel Dundee ?

Le premier fils de Margaret Henan meurt du croup. Un second, nommé encore Samuel, tombe à deux ans dans une cuve d’eau bouillante ; son troisième enfant est une fille ; le quatrième, un garçon : c’est de nouveau Samuel. Celui-ci vit, grandit, prospère, et sa mère est orgueilleuse de lui. Elle