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se dérober un peu vite à l’effort d’imagination ou de conjecture qu’ils semblent appeler et que notre curiosité sollicite. Je l’avoue, — et dût cet aveu m’attirer les faciles ironies des historiens à prétentions « scientifiques, » — je ne partage pas tous ces scrupules. J’estime qu’un critique, s’il doit tout d’abord épuiser tout le « connaissable » d’un sujet, n’est nullement dans l’obligation de s’en tenir là. Nos moyens d’information sont, généralement, si pauvres, il y a un tel écart entre les « vérités » relatives et sporadiques qu’ils nous permettent d’atteindre, et la vivante et complexe « réalité » que nous voudrions saisir, que nous sommes parfaitement autorisés à « remplir tout l’entre-deux, » et à deviner ce que nous ne parvenons pas à savoir : l’essentiel est de procéder à cette opération avec prudence et avec tact et de ne pas donner pour des faits objectivement acquis nos conjectures personnelles.

Le grand mérite du livre de M. Duine est d’avoir bien posé tous les problèmes mennaisiens, et, sur toutes les questions que soulève l’étude de la vie et de l’œuvre de Lamennais, d’avoir très clairement résume les faits actuellement connus et acquis. Il nous permet ainsi de mieux nous rendre compte des multiples obscurités qui subsistent encore aujourd’hui dans cette biographie morale, obscurités dont la plupart, je le crains, ne seront sans doute jamais complètement élucidées. Afin de préciser les idées, signalons-en quelques-unes.

On sait que Lamennais ne fit sa première communion qu’en 1804, à vingt-deux ans. Qu’il ne l’ait pas faite à douze ans, en 1794, en pleine persécution révolutionnaire, je veux bien admettre, avec M. Duine, que « la chose s’explique sans peine. » Mais ce qui s’explique moins, c’est qu’il ait attendu dix années encore pour se résoudre à cet acte essentiel de la vie chrétienne. Dira-t-on que le milieu où il vivait n’était guère chrétien, et que ni son père, ni son oncle, l’excellent Robert des Saudrais, ne durent beaucoup l’encouragera suivre la règle commune ? Mais n’est-ce pas oublier que Lamennais avait un frère, le futur abbé Jean, de deux ans son aîné, qui, lui, le jour de sa première communion, faite à neuf ans, se sentit appelé au sacerdoce, et dont la foi inentamée finit, quinze ans plus tard, par avoir raison des incertitudes et des atermoiements de Félicité ? Pour que les deux frères, qui s’aimaient tendrement, aient suivi, dans ces années décisives de la première jeunesse, une