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fur et à mesure des émissions, la valeur de cette monnaie, sans contre-partie métallique ou en billets de banque, tendait forcément à se déprécier, par suite de l’excès de circulation. Vers le milieu de l’année 1917, le montant des bons créés par la ville de Lille représentait déjà près de 300 millions de francs.

C’est dans ces circonstances que la Ville, contrainte à payer en « monnaie d’Etat, » c’est-à-dire en argent allemand, est invitée à mettre la main sur les coupons payables en francs belges, en marks allemands ou autres monnaies étrangères, en supportant même, au besoin, une prime de 15 p. 100 et au delà ce qui revenait finalement à donner au Gouvernement allemand des moyens de change pour continuer la guerre [1]. Peu importait de savoir si la municipalité, privée de ses ressources, était rendue incapable de payer ce qu’elle devait acheter en Belgique ou en Hollande pour son ravitaillement.

Le maire élève aussitôt une protestation démontrant l’impossibilité à laquelle se heurte une pareille prétention : il y a longtemps que l’argent français a disparu et, quant à l’argent allemand, il est introuvable, pour la raison péremptoire qu’il était interdit aux troupes occupantes de payer en marks, et cela afin de leur donner précisément l’avantage de régler leurs achats en bons de Ville dépréciés. De même, il était défendu aux populations indigènes d’exiger le paiement en monnaie allemande en or, en argent ou en billets de banque. (Avis du 18 mai 1916.)

On voit, dès maintenant, combien nous sommes loin de la Convention de la Haye et du Code militaire du grand Etat-major allemand qui proportionnaient les prélèvements pour contributions aux ressources du pays occupé. Du fait de son bombardement et de l’explosion de la poudrière, la Ville a subi des dégâts considérables, s’élevant à plusieurs centaines de millions. Elle a été vidée par les réquisitions de presque tout ce qu’elle contenait : aucune industrie, aucun commerce ne s’y exerce plus. L’entretien des quatre cinquièmes de la population est à la charge de la municipalité, qui n’a aucun moyen d’action pour assurer le ravitaillement, en dehors du bon plaisir de l’autorité

  1. C’est également le métier que l’on voulait imposer aux Banques par l’entremise de leur séquestre. Là encore, on rencontre les mêmes exigences et les mêmes résistances, qui ont mérité à certains directeurs d’être envoyés en Allemagne dans des camps de concentration.