Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/228

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous trempait dans un froid caveau. Deux cuves en sapin, énormes, où stagnait un liquide verdâtre et nauséabond, s’y allongeaient côte à côte comme des cercueils d’eaux mortes. Au fond d’un baquet croupissait du lait de chaux ; dans un autre, hissé sur un trépied, une mixture gris-jaunâtre moisissait. Par terre, des flaques visqueuses vous collaient aux semelles. On respirait de l’air mouillé. Les murs eux-mêmes, en carreaux de plâtre, suintaient... » Où sommes-nous ? Dans l’atelier d’un polisseur et nickeleur. Mais Carette, le polisseur et nickeleur, s’abandonne à son amour avec une faiblesse qui lui gagne votre amitié. M. Louwyck a trouvé, pour ce pauvre Carotte, une Manon Lescaut des faubourgs, terrible et aguichante et qu’on risquerait d’aimer, demain, si elle vivait.

Le Castagnol de M. Lamandé est un gracieux récit, farceur et philosophique, tout le temps clair et, à la longue, un peu moins clair qu’on ne l’a cru, mais agréable. Et j’ai dit, en passant, que M. Faure-Biguet ne manquait pas d’habileté : il n’est pas simple et a le goût de la psychologie morbide. Quand il s’apercevra que les âmes qui semblent ordinaires sont extrêmement singulières, il donnera une œuvre exquise dont la Fiancée morte est l’annonce.

Les livres de M. Pierre Mac Orlan sont écrits à la diable. Ce qu’un judicieux pédantisme, et que j’approuve, appelle fautes, contre la grammaire et le bon goût, s’y rencontre. Mais, à la diable : je veux dire aussi, avec une espèce de diablerie. C’est qu’il se dépêche. Et nous lui dirions que nous avons le temps : il est pressé. Pourquoi ? Mais à cause d’une abondance de mots, d’imaginations et de projets, — projet d’une phrase ou d’une idée, les deux à la fois peut-être, — qu’il a dans l’esprit et qu’il a sous la plume et qu’il ne faut pas laisser perdre. Il ne choisit pas : il a tort de ne pas choisir ; et c’est ici que l’on verrait son goût très sûr. Seulement, il n’a pas le goût très sûr : cela se voit au mélange qu’il fait du pire et du meilleur. Il écrit de longues pages, et des chapitres, inutiles, peu attrayants. Bientôt, sa verve donne ; et le langage est vif, ingénieux, rapide. Des bonshommes naissent, remuent, prennent leur caractère. Un gros dessin s’anime. Les bonshommes parlent : vous entendez leur voix. Leurs intonations, comme leurs gestes, les signalent. Les paysages s’illuminent. Ce ne sont pas les paysages de chez nous ; ce ne sont pas des bonshommes avec qui nous ayons aucune familiarité. Une fantasmagorie ? Mais cependant réelle ! Je reviens à Jean Bogaert. Le voici dans son atelier. Son atelier ? C’est une bibliothèque. Il y a des livres partout : « Les livres