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brèche se défendit une étoile mauve suivie d’un ébranlement mou et d’une fumée au travers de laquelle le film tourna, sans attendre, son devoir éperdu. » Je ne sais pas ce qu’est l’étoile mauve qui se détend, qui est suivie d’un ébranlement... Je conjecture que l’auteur note un souvenir bref, et qu’il a vu, de ses yeux vu, quelque chose d’analogue en effet à une étoile mauve ; il n’a pas cherché à savoir ce que c’était, il note qu’il l’a vu et comme il l’a vu. Le train partait ; et ainsi tout s’embrouilla. Je n’en doute pas ; mais la phrase aussi s’embrouille : et voilà du galimatias.

Ce galimatias, — et, avec sa désinvolture, l’auteur s’en moque, — est, dans l’œuvre de M. Paul Morand, ce qui reste de ses poèmes saugrenus. Il n’apparaît que par endroits, et va disparaître, et disparait déjà : il n’y aura plus, cela ôté, qu’un écrivain très attentif, et bon écrivain, spontanément très original, riche, concis, et qui serre, d’une étonnante façon, les unes contre les autres ses trouvailles d’idées, de mots et de métaphores.

Les récits de Tendres stocks et d’Ouvert la nuit sont charmants, ont beaucoup d’éclat, de frénésie, de mélancolie. Autant de récits et autant de figures de femmes qui se révèlent, très singulières, toutes un peu folles, ardentes et promptes au désespoir, bien séduisantes. Comment ne pas aimer Clarisse ? Une sonnerie du téléphone vous réveille dès le matin ; Clarisse vous dit : « Regardez à la fenêtre ; je vous envoie un beau nuage ! » Et vous allez vite à la fenêtre voir le beau nuage qui, par la route du ciel, vous apporte la pensée aimable et vaporeuse de Clarisse. La plupart des héroïnes de M. Paul Morand sont des étrangères, et de tous pays qu’a bouleversés la guerre. Elles ont subi le contre-coup des événements formidables et qui n’étaient point à la mesure de leurs petites âmes. Elles sont éperdues dans le désordre de la « vie moderne » où il faut « entrer en composition avec la folie. » Elles vont à mourir et, en chemin, s’égarent ; tout les trompe, sauf la mort, qui guette leur venue. Elles ont une grâce et une élégance de victimes ; elles ont un entrain qui sera déçu ; elles ont toute sorte de sourires, mêlés de larmes. Leur destinée ne semble pas faite pour elles, et les maltraite, et à la fois les ridiculise et les ennoblit. Leurs malheurs sont comiques et beaux.

M. André Thérive est-il gai ? Je crois que oui ; très gai : Il a écrit le Voyage de M. Renan, qui est une longue plaisanterie sans relâche. N’est-il pas triste cependant ? Il a écrit l’Expatrié, l’un des romans les plus affligeants que j’aie lus. Entre temps, il compose de savants poèmes, d’une forme un peu ancienne, qui semblent d’une époque