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celles des Canaries me paraissent plus achevées, tout en gardant un caractère plus original. Mais nous emportons surtout de cette escale imprévue un souvenir charmant ; vraiment, tous ont cherché à nous plaire et y ont très facilement réussi. Dans cet accueil tout spontané, nous avons senti mieux qu’une courtoisie banale.


Nous revoici en mer, et nous allons passer neuf jours entre l’eau et le ciel. C’est le calme parfait, car même un gros temps ne pourrait modifier la marche d’un bâtiment tel que le Jules Michelet, ni seulement troubler nos occupations. D’autre part, comment s’ennuyer au milieu de livres choisis, entouré de compagnons aimables, et devant le spectacle de l’Océan sans cesse changeant et toujours magnifique ? Le frottement continuel engendre à bord une politesse du meilleur ton : il impose le respect de la liberté individuelle et des convenances personnelles et interdit les prévenances exagérées qui pourraient devenir obsédantes, aussi bien que tout geste ou toute conversation gênante, et en particulier les « personal remarks » en horreur à nos amis d’outre-Manche. C’est la vie en commun dans un espace très resserré qui donne à nos officiers de marine une allure de parfaite éducation ; le « quant à soi, » avec la pratique de devoirs très stricts, et avec un haut idéal, développe la personnalité ; tous ceux d’entre eux qui ont conservé le goût du travail intellectuel deviennent de beaux exemplaires de la race.

Toutefois, un certain effort est nécessaire pour que le tonique de la mer se transmette au cerveau ; cérébralement, la navigation agit comme un sédatif : je le remarque autour de moi et sur moi-même. La lecture reste facile et attrayante, mais la rédaction est assez pénible, pendant un temps variable, selon les tempéraments et aussi les habitudes. Je profite de ma présence à bord pour m’instruire et, d’accord avec le contre-amiral Pugliesi-Conti, je demande au commandant du Jules Michelet, le capitaine de vaisseau Favreul, de me faire visiter son beau croiseur. Il reste un sérieux instrument de guerre, mais je pense à part moi que la vie sous les Tropiques est bien pénible dans les espaces très cloisonnés, et qu’une ventilation mieux comprise serait très appréciée de l’équipage. Puisque la douche en plein air, possible par des lances à incendie, n’est pas dans les usages,