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les égaux des blancs devant l’ennemi de la Patrie commune ; j’ai fait confiance à la race et elle ne l’oubliera jamais [1].

Que pouvais-je répondre à l’expression de semblables sentiments ? J’ai constaté que tous les enfants de la France, sans distinction de couleur, étaient accourus pour sa défense et s’étaient montrés dignes d’elle. Grâce à cette union cimentée sur les champs de bataille, elle s’était trouvée plus grande et plus forte qu’elle ne le croyait elle-même ; il y a 40 millions de Français blancs en Europe, mais aussi 60 millions de Français de couleur dans toutes les parties du monde : la France est une nation de 100 millions d’hommes. J’étais bien heureux d’avoir été choisi pour apporter à ses enfants des Antilles, aujourd’hui libres citoyens, le témoignage de sa tendresse maternelle et de sa reconnaissance. Gardons les qualités qui nous ont donné la victoire, l’union entre les citoyens et la ténacité dans la poursuite de nos desseins ; apportons au travail la même ardeur que dans les luttes armées : alors nous gagnerons la paix comme nous avons gagné la guerre.

Puis nous nous dirigeons vers l’Hôtel du Gouvernement, à pied, car j’ai renvoyé les voitures, afin d’être plus près de la foule qui s’entasse sur le parcours. Elle est dans un grand enthousiasme, toute riante, les femmes en toilettes aux couleurs vives qui éclatent dans le grand soleil, les hommes aux faces réjouies dont la couleur va du blanc mat au noir d’ébène. Une grande clameur monte vers le ciel de feu : « Vive la France ! » Chez le Gouverneur, je trouve réunis les délégués de tous les corps élus, les officiers, tous les fonctionnaires, qu’il me présente ; je m’arrête auprès de chaque groupe, plus longuement près des instituteurs, dont le rôle est encore plus important ici qu’ailleurs.

  1. Et ce ne sont pas là de vaines paroles : je puis le dire maintenant, j’étais chargé par le Ministre de la Guerre d’étudier aux Antilles l’application du service de six mois prévu par le premier projet de la loi réduisant à dix-huit mois la durée du service dans la Métropole. Tout en remplissant ma mission, j’ai fait des sondages discrets dans tous les milieux, j’ai provoqué les rapports des Gouverneurs et des Commandants supérieurs des troupes, j’ai interrogé les élus d’aujourd’hui et leurs concurrents d’hier, et ceux qui peuvent l’être demain... Tous ont été unanimes : la loi doit être égale pour tous ; une diminution sur le temps de service fixé pour la Métropole serait considérée par tous les habitants des anciennes colonies comme un outrage injustifié, et j’ajoute immédiatement que les habitants du Sénégal, menacés de la même exception, ont eu la même attitude. Le Gouvernement a dû tenir compte de ce sentiment universel et son texte a été modifié en conséquence. Le projet voté par la Chambre le 22 juin 1922 demande dix-huit mois de service aux populations des anciennes colonies comme à celles de la Métropole.