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cours de l’histoire. Ce jour-là l’écuyer de service auprès de la souveraine était le marquis de X... qui caracolait à la portière et attirait tous les regards : en effet, en l’examinant, on lui aurait trouvé des allures étranges dans la façon de faire pirouetter son cheval... Tout à ses fantaisies de haute école, il avait oublié l’itinéraire réglé pour le parcours du cortège et fait prendre à la calèche de l’Impératrice la route choisie pour la voiture des Empereurs...

Cette erreur providentielle contribua à éloigner de sa victime la balle de l’assassin. Celui-ci, exactement informé de l’itinéraire des souverains, se trouva trompé dans son calcul : il s’était posté au talus à droite de la cascade devant lequel devaient défiler Alexandre et Napoléon, mais, par la négligence de l’écuyer, il se trouva loin du but : dès qu’il vit paraître le cortège au loin, pour s’en rapprocher et gagner le talus de gauche, il dut traverser en courant la prairie : ce délai permit à Firmin Raimbaut de mettre son cheval entre le Tsar et la balle qui le visait, fit dévier ainsi le projectile et facilita à la police l’arrestation du meurtrier.

Pour l’Impératrice, cette confusion n’eut d’autre inconvément que de provoquer un embarras de voitures ; un encombrement arrêta la daumont impériale au milieu du peuple qui la cernait. L’Impératrice distribuait ses plus gracieux sourires et le roi Guillaume ses plus affectueux saints de grand papa pour désarmer l’hostilité du public et provoquer sa sympathie : la foule semblait conquise par cet avenant vieillard et par cette jolie femme. Un incident bien imprévu, — tout en n’étant pas du goût de la souveraine, — fut plus puissant que les sourires et les saints et acheva de mettre les badauds en belle humeur.

Tout près de la calèche impériale se trouvait une victoria jaune contenant une demi-mondaine qui retenait à grand peine sur ses genoux un petit ratier aux yeux flamboyants... L’écuyer, qui caracolait entre les deux équipages, pris d’on ne sait quelle lubie, se met à aboyer au roquet qui se dresse et répond, furieux... Il riposte, l’autre exaspéré aboie : — Aoh ! aoh ! — Ouah ! ouah ! Un duo s’engage entre l’homme et l’animal, la foule se met de la partie, elle rit et elle excite l’un contre l’autre. L’Impératrice, horriblement gênée, tente en vain de rappeler son écuyer à l’ordre... Ne pouvant y parvenir, elle ordonne au postillon de se hâter et, tandis que le piqueur fend à