Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/308

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bref, elle fut la charmeresse qu’elle savait être, quand elle le voulait…

Mais le Tsar, se reprochant de la fatiguer, parla d’une promenade dans le parc. Elle prétexta la chaleur… Il demanda à plusieurs reprises l’exécution du programme promis : les exercices de la meute dans la forêt qu’il avait grand désir de visiter…

On lui dit que les routes étaient devenues impraticables à la suite des pluies récentes. Comme il insistait, on dut prévenir le comte Schouvaloff du danger qui menaçait son maître, s’il allait se promener dans les bois, et l’on finit par rester emprisonnés au logis jusqu’à l’heure où les Russes prirent le train pour Pétersbourg.

Ouf !… fut le soupir de délivrance que durent laisser échapper les maîtres de céans au départ de leur hôte si dangereux !…

À part quelques satisfactions pour la vanité, — payées par beaucoup de tracas et d’angoisses, — cette visite, dont on attendait une alliance franco-russe, produisit l’effet diamétralement opposé : Bismarck et Gortchakoff s’entendirent sur le dos de Rouher, l’oncle et le neveu se rapprochèrent et s’allièrent contre le Gouvernement démocratique de la France.

L’affaire Berezowski fit le reste. Un moment on avait songé à faire tourner l’attentat manqué au profit de la bonne cause. L’assassin naturellement aurait été condamné à mort. Alexandre alors serait intervenu et aurait demandé sa grâce qu’on lui eût naturellement accordée. Cette magnanimité aurait sans doute ramené à l’autocrate des sympathies polonaises.

Au lieu de cette combinazione si bien réglée, le jury accorda les circonstances atténuantes et enleva ainsi au Tsar l’occasion de faire le beau geste. Alexandre fut doublement furieux de l’indulgence de la justice française et la fâcheuse impression qu’il emporta de son voyage en France contribua peut-être à l’empêcher d’intervenir au secours de Napoléon III en 1870.

Aussi Mme Adam dans ses Mémoires qui sont souvent des prophéties, — publiées après leur réalisation, — déclare que le duc Decazes avait vu la main de Bismarck dans l’attentat de Berezowski.