Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/337

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le premier développe, sur le Saint-Esprit, une doctrine non moins originale que celle que construisait Bérulle au sujet du Verbe. Puis voici défiler, en un pittoresque cortège, le Jésuite Maunoir et ses compagnons, extraordinaires types de fourriers du Christ à travers l’ignorante Bretagne, et qui n’ont vraiment rien de commun avec le « Bon père » des Provinciales.

Ce siècle cartésien, ce siècle apparemment soumis à la froide raison, s’anime d’une vie mystique profonde, sous le regard de M. Bremond. Nous voyons, dès son aurore, les âmes se dilater, grâce à l’ « humanisme dévot » d’un saint François de Sales. Jusque dans l’Eglise romaine, elles s’étaient senties frôlées, et vaguement découragées, par certaines conceptions théologiques d’outre-Rhin, qui considéraient le péché originel comme une gangrène radicale de tout l’être humain. En face de Wittenberg, en face de Genève, la mystique salésienne s’exhibe joyeuse : en célébrant comme une merveille de la création cette créature rachetée qui s’appelle l’homme, elle ne lui permet plus de se mépriser tout entier, et elle le rassure. Ayant ainsi retrouvé la force de l’élan, toute une génération de mystiques va surgir : Jean de Saint-Samson, le merveilleux Carme aveugle, qui voit si clair dans l’au-delà ; le Père Joseph, rédigeant d’une même plume la règle de ses Calvairiennes et les statuts de l’équilibre européen ; les spéculatifs de l’Oratoire ; et puis les abbesses et prieures qui rendent à la vie religieuse, en terroir parisien, dos racines d’autant plus robustes, que leurs cœurs, à elles, sont plus détachés de la terre : Madeleine de Saint-Joseph au Carmel, Marie de Beauvilliers à Montmartre, Marguerite d’Arbouze au Val de Grâce.

Nécessairement, dans un aussi vaste tableau, la place qu’occupe Port-Royal se rétrécit. Dans la grandeur de leur isolement, et puis de leurs ruines, le monastère des Champs et les maisons des solitaires apparaissaient à Sainte-Beuve comme la cité même de Dieu, incarnant, en face d’un monde qui s’obstinait à être « le monde, » l’exigence divine et le reproche divin Mais ce qui résulte avec éclat de l’œuvre de M. Bremond, c’est qu’un peu partout, en cette première moitié du XVIIe siècle, s’édifiait la cité de Dieu, et que le Port-Royal du grand Arnauld n’était qu’un quartier de cette cité.

Quartier volontairement écarté, farouchement isolé et aimant à s’isoler ; quartier soupçonneux, et quartier soupçonné. Car le