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Port-Royal du grand Arnauld observe les humanistes dévots et les mystiques, et de leur côté ceux-ci le regardent : on ne tarde pas à se rendre compte qu’on n’est pas d’accord. Ce n’est pas seulement contre la morale relâchée que Port-Royal insurge ses scrupules ; c’est contre le message d’allégresse qu’un peu partout les mystiques proposaient aux âmes ; et lorsque le Franciscain Bonal, lorsque le Capucin Yves de Paris, rompent des lances contre Port-Royal, ils visent, non point à venger la casuistique, mais à venger cet optimisme mystique que contrecarrait la théologie de Jansénius, et qui, cinquante ans durant, avait fait ses preuves comme doctrine de sévérité, mais, tout en même temps, comme doctrine de joie.


II

Le spectacle même de cette magnifique efflorescence religieuse nous montre plus restreinte que généralement on ne le croyait la place occupée par Port-Royal dans le monde des âmes, — dans l’espace : il y avait là une illusion d’optique, que corrige M. Bremond. Mais en confrontant avec les documents nos idées courantes, voilà qu’il y découvre, par surcroît, une façon d’anachronisme : il y a toute une première génération port-royaliste qui, pour M. Bremond, ne fut qu’à peine janséniste. Nous faisions commencer le jansénisme plus tôt qu’il ne commença : et ce n’est pas seulement dans l’espace, c’est dans le temps, que nous avions le tort de prêter à ce phénomène religieux une trop grande luxuriance d’épanouissement.

La question que soulève ainsi M. Bremond n’est autre que le problème des origines du jansénisme, obscur encore, et que, depuis une quinzaine d’années, on s’est beaucoup efforcé d’éclaircir. Tout de suite se dresse devant nous, comme une sorte de défi, l’énigme d’une personnalité historique, qui s’appelle Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran. Ce curieux homme, après trois siècles, semble encore ruser avec les interrogations de l’histoire, comme il rusait, dans sa prison de Vincennes, avec les interrogatoires ordonnés par Richelieu.

On croyait ses traits fixés, en 1912, dans la thèse de doctorat que lui consacrait M. Laferrière devant l’Université de Louvain [1]. Mais, presque en même temps, le P. Brucker apportait

  1. J. Laferrière, Étude sur Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, Paris, Picard, 1912,