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de Munich un nouveau paquet de révélations, et sa trouvaille, soit dit en passant, n’avait rien de flatteur pour les bibliothécaires français du temps de Louis-Philippe. En 1836, Amans-Alexis Monteil, dans la nouvelle édition de son Traité de matériaux manuscrits de divers genres d’histoire, mettait à prix, pour quinze francs, un ancien recueil de copies de cent trente-cinq lettres relatives à Port-Royal, s’échelonnant de 1629 à 1643 ; trois de ces lettres portaient la signature de Saint-Cyran, et beaucoup d’autres, de toute évidence, étaient des messages anonymes de Saint-Cyran prisonnier. « On verra par la chaleur des enchères, souriait Monteil, si le jansénisme vit ou s’il est mort. » C’était un an avant que Sainte-Beuve ne commençât ses conférences de Lausanne, et les enchères ne prouvèrent pas que le jansénisme fût en vie, puisque nos conservateurs de bibliothèques laissèrent filer en Bavière cet incomparable dossier... Après trois quarts de siècle, le P. Brucker s’y plongeait, et constatait -que les pieuses mains qui, vers 1674, copièrent ces lettres, en vue de les éditer un jour ou l’autre, avaient, çà et là marqué les corrections, atténuations et suppressions qu’il conviendrait d’y pratiquer [1].

Ainsi cette découverte même, qui nous aidait à mieux connaître Saint-Cyran, nous était un nouveau témoignage de la difficulté qu’on éprouve à le connaître. Car tout ce qui s’imprima de posthume sous ce nom respecté fut du Saint-Cyran remanié, édulcoré : nous en avons la preuve, pour les Considérations sur les dimanches et fêtes, dans une lettre d’Arnauld à M. Perier, et puis, pour les recueils de lettres imprimées, par la confrontation avec certains manuscrits conservés à la Bibliothèque nationale. Les éditeurs voulaient « prévenir les chicaneries, » éviter « la nécessité de faire des apologies : » on émondait, on laminait ; on amalgamait des lettres, ou des fragments de lettres, pour en faire des « avis » ou des « conversations » de Saint-Cyran ; et l’on publiait des volumes dont le cardinal Le Camus pouvait dire : « Jamais livre ne m’a plus porté à Dieu que celui-là ; » mais ce n’était plus l’intégralité de la pensée de Saint-Cyran. Par surcroît, tel théologal ou tel syndic de Sorbonne, chargés de la censure des livres, apportaient parfois, eux aussi, leurs corrections : le P. Brucker en a trouvé la preuve flagrante dans un manuscrit de l’Arsenal.

  1. Brucker, Recherches de science religieuse, 1912 et 1913.