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Lorsque d’autre part le Jésuite Pinthereau, peu de temps après la mort de Saint-Cyran, utilisait pour la polémique les lettres de Jansénius et les dossiers des interrogatoires de Vincennes, les jansénistes accusaient de partialité les citations de ce Jésuite et mettaient l’histoire en garde contre ces fragments, susceptibles d’aggraver « le cas Saint-Cyran », que leurs publications, à eux, visaient à atténuer [1]. Et qui donc oserait dire, enfin, qu’aujourd’hui même, en dehors de tous ces textes discutés et discutables, il ne reste rien à exhumer ?

De fragmentaires jets de lumière, auxquels beaucoup d’ombre se mêle : voilà tout ce qui nous éclaire la physionomie de Saint-Cyran. Sans découragement, M. Bremond l’observe, et s’en fait le portraitiste. Le Saint-Cyran qu’il nous dépeint est fort différent du personnage tout d’une pièce que d’ordinaire on imaginait. On prêtait à l’inquiétant abbé une tension de volonté supérieure à celle même des héros de Corneille, une intransigeance de fierté pareille à celle des vieux stoïciens qui jadis opposèrent aux empereurs la solitude protestataire de leur « moi » ; l’histoire s’inclinait, respectueuse, docile, devant ses allures de dominateur. Mais M. Bremond, regardant de plus près, découvre en lui un velléitaire, et même un malade de la volonté, qui procède par saillies, avance et recule, ose et n’ose plus, vacille entre des lubies contradictoires, griffonne et ne met pas au net : tempérament vraiment médiocre pour un prétendu chef de secte. Oui certes, à ses heures, il se laisse exciter par je ne sais quel subtil mélange d’amour-propre et d’esprit apostolique, répétant que, s’il avait voulu se produire, il aurait gouverné la moitié de Paris, et écrivant textuellement : « Il a plu à Dieu de me faire cette miséricorde de désaveugler par moi le monde. » Griseries de mégalomane, — nous démontre par une masse de petits faits M. Bremond, — et d’un mégalomane qui se laisse ensuite d’autant plus déprimer qu’il s’est plus follement exalté.

Quand à Vincennes, au cours des interrogatoires auxquels le soumet la double police de Richelieu, police judiciaire et police spirituelle, on le voit ergoter, chercher les échappatoires, atténuer ou nier, détail par détail, la gravité des thèses qui lui sont reprochées, on cherche en lui, vainement, l’étoffe d’un confesseur de la foi, ou de l’hérésie ; et si plus tard il y a du panache

  1. L’authenticité des lettres de Jansénius a d’ailleurs été mise en doute par le regretté M. Gazier.