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en son verbe lorsqu’il parle de ces « six pieds de terre où l’on ne craint ni le chancelier, ni personne, » c’est probablement être dupe, que de le camper à jamais dans cette attitude, sous le regard de la postérité. Moraliste intransigeant, il tient à le paraître ; mais ses péchés théologiques de jeunesse furent pourtant des péchés de casuiste, discutant les cas, — trente-deux, parait-il, — où le suicide pourrait être permis, et les cas où les prêtres peuvent prendre les armes, au risque de devenir homicides. Il a des côtés de grand contemplatif, et M. Bremond, tout le premier, rend hommage à cet aspect de sa vie intérieure et saluerait volontiers en lui un précurseur du romantisme catholique ; mais d’autre part on pressent de choquants manèges, et de fâcheuses roueries, — M. Bremond va jusqu’à dire : un charlatanisme dévot, — dans l’étalage, parfois assez gauche, qu’il fait de son illuminisme, et dans les façons qu’il a de se poser en oracle, d’attendre, durant de laborieux silences, le « mouvement spécial de Dieu, » et puis d’interpréter Dieu, en « bonds et volées ; » et Raconis, l’évêque de Lavaur, avait quelques bonnes raisons de viser Saint-Cyran lorsqu’il esquissait les traits du {{directeur solide et apostolique, pour opposer au directeur visionnaire de nos nouveaux prophètes. »

Tel quel, Saint-Cyran « gagne les cœurs : » c’est Lancelot qui nous le dit, en termes d’une ferveur attendrie, en même temps qu’il nous énumère tout ce qu’il conserva comme reliques dans le dépècement du cadavre du grand homme ; il y a, dans ce pieux catalogue anatomique, des détails inouïs.

Tel quel, Saint-Cyran lance des idées : s’il y eut des « solitaires » au désert, ce fut sur un signe de Saint-Cyran ; un autre de ses gestes fit s’ouvrir les Petites écoles ; et durant les rapides semestres de 1635 et 1636 où sa direction s’exerça effectivement sur les religieuses de Port-Royal, il les lit jeûner des sacrements, en vertu de certaines opinions théologiques dont témoigne, en termes assez troublants, cette lettre retrouvée à Munich : « Le monde est devenu corrompu, et on a mis presque toute la piété de la religion chrétienne dans les seules choses extérieures, comme sont les confessions et les communions [1]. » Mais vous ne le voyez pas s’acharner au succès de ses opinions : ce personnage qui apparaissait à Sainte-Beuve comme « le directeur par

  1. Brucker, loc. cit. . 1913, p. 372.