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Ivan, n’ayant pu supporter le froid qui était très vif, était rentré chez lui, pour venir me chercher le lendemain à mon domicile, 40, rue Kirotchnaia. Je restai donc.

Où es-tu, brave Ivan, avec ta belle face russe imperturbablement calme ? Et dire qu’il était esthonien !...

A sept heures du matin, je fus réveillé par mon secrétaire. Il venait m’apprendre qu’on avait perquisitionné chez moi. Des matelots, de ceux que Trotzky appelait « la beauté et la gloire de la Révolution russe, » parce qu’ils avaient fusillé leurs officiers sans défense, étaient venus dans la nuit pour m’arrêter. Ma maison était cernée.

Je l’avais échappé belle ! comme disent les Français. Mon premier robber de bridge avec les bolchévistes était gagné.

Il était impossible de rester plus longtemps chez Grammatikoff : je me rendis à pied chez un fidèle ami, dont je dois taire le nom, comme ceux de beaucoup d’autres. Cinq jours après, j’étais à Moscou, où je dus attendre les ordres de notre organisation. Bientôt, je prenais le train pour Rostow-sur-le-Don.

Ce train était le dernier contenant une voiture de la Compagnie internationale des wagons-lits. La Sovdépie, n’étant pas encore sûre d’elle-même, tirait du Caucase les fameux déserteurs, dont elle avait tant besoin, et n’osait, pour cette raison, rompre définitivement avec les Cosaques du Don. D’autre part, le mot « Internationale, » inscrit sur la voiture, provoquait l’enthousiasme parmi cette foule de bandits qui se figuraient que dans ces voitures voyageait l’Internationale en personne.

Parmi les voyageurs, se trouvait un jeune militaire, d’origine juive, commissaire du peuple se rendant au Caucase. Il se précipita dans notre voiture et précisément dans le même compartiment que moi. J’avais les papiers d’un simple « metteur en pages. » Mais il n’y avait rien là qui put éveiller les soupçons de mon redoutable compagnon de route.

Deux de mes amis, portant des noms titrés, voyageaient avec moi. Ils avaient des papiers parfaitement en règle : j’ignore par quel moyen ils se les étaient procurés. Nous passâmes sans encombre les stations dangereuses. Restait la station régulatrice, Lisky. La station qui suivait, Tchertkovo, était, je le savais, aux mains des Cosaques. Entre ces deux stations, on traversait une sorte de zone neutre. Le commissaire ne s’en doutait pas, étant