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un coup d’œil par la fenêtre, je vis un brave Cosaque avec ses épaulettes, sa casquette de côté, montrant le « tchoube » (mèche de cheveux) et la boucle d’oreille.

Nous étions hors d’atteinte.

Tirant alors de mes bottes mes vrais papiers, je me précipitai dans le couloir.

Quelqu’un me toucha l’épaule. C’était notre commissaire. Il était livide. Je le rassurai en lui donnant la certitude que nous ne le dénoncerions pas. Il y a quelques heures, il aurait pu me livrer aux soldats abrutis qui m’auraient mis en lambeaux ; maintenant, son sort était entre mes mains. Ainsi se succédaient les événements avec une vitesse et une incohérence de roman-cinéma. Une première fois, le bridge m’avait sauvé ; la seconde fois, il avait failli me perdre : j’avais gagné quand même. Qui pourrait dire s’il faut ou non jouer au bridge ?

J’engageai le commissaire à retourner à Tsaritzine, ne voulant point le laisser entrer à Novotcherkassk : conseil qu’il suivit avec empressement.

Tard dans la nuit, nous escaladions la montagne de Novotcherkassk, et, le lendemain, je me réveillais au milieu de l’armée que je ne devais plus quitter durant presque toute son existence.


II. — LA NAISSANCE DE L’ARMÉE

Novotcherkassk, capitale du Don, est situé sur une montagne, et couronné d’une splendide cathédrale aux coupoles dorées. La légende veut qu’un certain ataman des Cosaques, ait, dans sa jalousie, bâti cette ville pour y mieux garder sa bien aimée. Les Cosaques aiment les légendes poétiques, et leurs chants, consacrés presque toujours à la guerre, sont remplis de surprenantes poésies musicales, mi-guerrières, mi-amoureuses.

Cette ville de Cosaques fut la mère adoptive de l’armée volontaire. Tous ceux qui prirent part à ce grand mouvement et y entrèrent, aux premiers jours, se souviennent d’un petit appartement, sans cesse grouillant de monde, situé 26, rue Barotchnaia, où se trouvait le quartier général du créateur de l’armée, le général Alexéïeff.

Le général me reçut dès mon arrivée. J’ai dit qu’il m’avait appelé pour prendre la direction d’un journal de Rostow. Mais