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— C’est exact... Et moi, dirent les autres, je suis du corps d’Orel ; moi, de Moscou...

Ils me confièrent gaiement qu’ils venaient de tous les coins de la Russie pour prendre rang dans l’armée des généraux Alexéïeff et Korniloff. Comment ces pauvres enfants, ayant dit adieu à leurs familles, purent-ils venir de si loin, atteindre avec tant de fatigues l’armée promise et si désirée ?

Toute cette jeunesse n’avait qu’un but, ne poursuivait qu’un rêve : se sacrifier pour la patrie. C’est cet élan qui la conduisit à la victoire, c’est lui qui permit à ce groupe insignifiant en nombre, de vaincre un ennemi des dizaines de fois plus fort. L’amour sacré de la patrie, une confiance aveugle dans leurs chefs animait ces combattants volontaires. C’est à leur noble et pure jeunesse que nous devons tous nos succès.

Un jour que le général Alexéïeff assistait à l’enterrement de quelques-uns de ces jeunes gens, il prononça sur leur tombe ces belles paroles :

— Je vois le monument qu’un jour la Russie élèvera à ces enfants. Ce sera, sur un rocher dénudé, un nid d’aigles détruit et autour de lui des aiglons tués.

Mais les aigles, où étaient-ils ?


III. — A LA RECHERCHE DE LA PATRIE

Je me trouvais, le 13 février, à Olginskaîa.

Le lendemain, l’armée devait se mettre en marche vers le Sud, en empruntant le chemin des « caravanes de sel, » qui apportent le sel en Russie, des bords de la mer Caspienne.

Nous partîmes, le matin du 14. J’étais adjoint, sans mission particulière, à l’état-major du général Alexéïeff, section politique.

Dans la Grande Guerre, chacun savait que derrière lui il avait des services organisés, les relations postales, un lien avec la maison de famille et tout ce qui est cher au cœur de l’homme. Ici, au contraire, c’était l’isolement et l’inconnu. Il nous fallait aller à l’aventure, errer comme une île flottante un milieu de l’océan bolchéviste, portant en nous-mêmes notre seul soutien : la foi en la patrie. Autour de nous, des indifférents, quand ce ne sont pas des ennemis. Nous avancions vers la région du Kouban sans renseignements de quelque valeur, sans aucune assurance d’être accueillis en amis. Nous étions suivis