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Chaperon me conduisit auprès du général.

— Excellence, Souvorine a entendu des coups de feu et vu des éclatements. Cela ne pourrait-il être l’armée d’Erdeli ?

De dessous la couverture saillirent les lunettes du général.

— Des bêtises ! prononça-t-il d’un ton courroucé. C’est le général Markoff qui attaque à notre droite.

Et de nouveau il s’enfonça sous la couverture.

Il fut établi que j’étais un propagateur de fausses nouvelles : on est ou on n’est pas journaliste !

Une autre fois, marchant au milieu des clairières, par une belle journée du mois de mars sous les chênes koubans, qui n’ont rien de commun avec nos chênes, je m’énervais à lutter avec leurs branches. Vous ne savez pas ce que c’est qu’un chêne bâtard : il rampe au ras du sol et vous tire par les jambes. Il est fort et dur comme ses aïeux, les vieux chênes, mais il est presque couché à terre. Fatigué par une longue marche et agacé par la lutte avec ce nouvel ennemi, je m’étais arrêté et je commençais à battre furieusement de ma canne les branches tortueuses. Près de moi passa lentement avec sa suite le général Korniloff. Il laissa aller au pas sa superbe monture et me dit gaiement bonjour :

— Eh bien ! monsieur le rédacteur, prononça-t-il, saviez-vous que vous vous promeniez dans les monts du Kouban ? Regardez, voilà la stanitza de Pachkovsk ; elle est à 10 kilomètres seulement d’Ekaterinodar ; nous y serons bientôt !

Il était gai et content. Son visage aux traits mongols était comme éclairé par la pensée de la victoire ; et sa suite, ces officiers dans leur tenue de fortune, ce soldat porte-bannière avec son insigne tricolore et sa figure immobile et comme de pierre, me faisaient l’effet d’êtres surnaturels. La rencontre du général était un bonheur sans égal, ses paroles une bénédiction. Je m’adresse à tous ceux qui ont fait la guerre. Vous rappelez-vous votre impression lorsque devant vous, qui marchez humblement avec votre fusil, passent le chef et son état-major ? Le regard du chef, quelques mots de lui, en voilà assez pour faire de vous un homme résolu à la mort. Ailleurs, dans d’autres circonstances, ce même général ne serait rien pour nous. Mais dès que nous avons le fusil sur l’épaule et qu’il est à cheval, il est un demi-dieu.

Je ne suis pas un jeune poète (et même je ne suis pas du tout poète), je ne suis pas Ernest Psichari, ce combattant-croisé,