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je ne suis pas un professionnel de la guerre endurci dans les batailles, mais, en égrenant maintenant mes souvenirs, dans la tranquillité de ma retraite, je sens battre mon cœur autrement, je sens mes mains se glacer, je voudrais lever les yeux pour rencontrer le regard du Chef.

O notre chef au cheval blanc, comment osent-ils rire de toi, les sceptiques ?

Donne-nous la grâce de mourir pour toi, chef inconnu, et que notre foi attend toujours !


IV. — LA CAMPAGNE DE GLACE

Cette première incursion dans la région du Kouban, qu’on a souvent appelée : « Campagne de Korniloff, » fut vraiment une croisade, dont nous portons fièrement les insignes [1].

Simple étape de 16 kilomètres à peine, elle fut la plus cruelle épreuve pour notre armée et vivra éternellement dans la mémoire de ceux qui en étaient.

Nous sortîmes de l’aoul (village) Cherdji le 15-28 mars. Nous avions fait notre jonction avec l’armée des Cosaques du Kouban, commandée non par Erdeli, mais par le colonel Pokrowsky, élu général par la Rada du Kouban. Les unités combattantes furent dirigées vers la stanitza de Novo-Dmitrievsk, et le reste de l’armée, les états-majors, le convoi de matériel et les blessés vers la stanitza Kaloujskaïa.

Le matin de notre départ, le temps se gâta brusquement. Une fine pluie se mit à tomber. Les chemins, assez mauvais ordinairement, devinrent tout à fait impraticables. On voyait à chaque pas des charrettes enlizées, dont les chevaux succombaient après d’inutiles efforts. Puis ce furent des giboulées de neige et de grêle, dont nous étions transpercés. Les chevaux s’arrêtaient et les blessés réduits à l’immobilité étaient bientôt emprisonnés sous une couche de glace.

Marcher dans l’eau recouverte de glaçons sous ce vent qui

  1. Cet insigne a été institué en 1919, par le général Denikine. Il présente la forme d’une couronne d’épines traversée par un glaive. On le donne « en récompense pour la bravoure au feu, une témérité remarquable ainsi que pour des faits d’abnégation et d’efforts sans précédents : » c’est en ces termes que s’exprime le diplôme, qui accompagne cet ordre. L’insigne se porte directement après les ordres de Saint-Georges, sur un ruban aux couleurs de Saint-Georges et une cocarde tricolore.