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vous fouettait sans cesse, était un supplice intolérable. Les pieds, complètement mouillés, devenaient tout raides ; les vêtements faisaient carapace. J’étais vêtu de mon burberry, que j’ai gardé jusqu’à présent, chaussé de bottes avec, sur la tête, un bonnet de fourrure. Pour pouvoir marcher plus facilement, j’avais passé dans ma ceinture les pans relevés de mon paletot. Bientôt, tout mon côté droit, mes cheveux et mon bonnet de fourrure se recouvrirent d’une couche de glace, qu’il fut désormais impossible d’arracher. Il en fut de même pour les pans relevés de ma capote, qui devinrent durs, comme blindés de glace et que je ne pouvais plus retourner. Et nulle part autour de nous il n’y avait trace d’habitation. Nulle part où nous réchauffer. Il fallait marcher, marcher toujours, dans ce cauchemar de glace.

C’est dans ces moments affreux, comme d’ailleurs pendant toute la durée de notre épreuve, que j’ai dû mon unique réconfort au spectacle que m’offraient ces deux héroïnes, les sœurs Engelgardt. Ces admirables jeunes filles ne prenaient presque jamais place dans les chariots, mais marchaient vaillamment dans leurs légères robes trempées et gelées, comme si ce leur eût été une agréable habitude.

Un ruisseau vint à nous barrer la route. Hier encore presque à sec, aujourd’hui roulant des eaux grossies et rapides, il avait emporté le frêle pont de planches qui le traversait. J’entrai dans l’eau qui m’arrivait parfois à la ceinture. Le ruisseau était bien large de 10 mètres et le courant en était si rapide, qu’il était difficile de s’y maintenir en équilibre. Je m’avançai en sondant le fond avec une canne et tenant d’une main une des sœurs Engelgardt. Après elle venait le lieutenant A... avec l’autre sœur.

Tout mouillés et engourdis de froid, nous étions cependant de bonne humeur en traversant ce ruisseau. Les deux jeunes filles avaient eu de l’eau jusqu’à la ceinture et leurs jupes mouillées se couvrirent immédiatement de glace. Le seul moyen de se réchauffer était de marcher très vite : c’est ce que nous fîmes et nous atteignîmes bientôt, presque sans nous en apercevoir, le village de Kaloujskaïa.

A ce moment commença une véritable tempête ; la neige tomba abondante et drue, mais nous étions déjà dans le village. Grand fut notre étonnement d’y apercevoir, rangés à l’entrée,