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plusieurs luxueux équipages. C’étaient ces messieurs de la Rada (Parlement) qui étaient confortablement venus d’Ekaterinodar dans des voitures réquisitionnées !

C’est par ce temps affreux. dans la tourmente hurlante, que notre armée prit d’assaut le village de Novo-Dmitrievsk ; c’est, comme on l’a vu, vers ce village qu’avaient été dirigés nos combattants. Ils n’eurent pas seulement à lutter avec la nature, mais aussi avec les rouges. Que de blessés et de malades périrent dans ce froid, combien d’hommes revinrent avec les membres gelés, que de chevaux durent être abandonnés par l’armée, dans ce petit trajet de 16 kilomètres !

Le général Alexéïeff, tout malade qu’il était, avait supporté comme les autres cette dure épreuve : c’était miracle qu’il fût encore sur pied.

Pour traverser le ruisseau, qui avait débordé sur la route de Novo-Dmitrievsk, l’infanterie fut aidée par la cavalerie, elle-même à demi gelée : lorsque, le soir, ces malheureux essayèrent de se réchauffer auprès des feux allumés, l’artillerie ennemie les repéra et ouvrit sur eux le tir de ses canons.

C’est cette marche inoubliable qui fut appelée dans la suite par un jeune journaliste [1], « la Campagne de glace. »


V. — LE COMPAGNON MYSTÉRIEUX

Le jour où l’ordre nous fut donné de quitter Kaloujskaïa pour aller à la Novo-Dmitrievskaïa, le soleil resplendissait dans un ciel serein, et le printemps, qui éclate brusquement dans cette région méridionale, nous inondait de chaleur et de clarté.

La longue inactivité, les douloureux souvenirs que nous laissions à Kaloujskaïa, et d’autre part ce soleil et ce renouveau, nous donnaient une grande ardeur à marcher en avant, à aller plus loin. Où allions-nous ? Peu nous importait. Là où on nous conduisait, il nous semblait apercevoir le salut de notre Patrie, la fin de nos souffrances, la victoire... et nous marchions.

Aussi partions-nous le cœur léger.

On mit beaucoup de temps à sortir du village, car le soleil printanier avait rendu impraticables les routes, quelques jours auparavant encore recouvertes de neige. Nous devions longer

  1. Bortachévitch, mor( du typhus à Poltava en 1919.