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espace d’heure en heure. J’aimais écouter les bruits qui montaient : soupir sourd de la plante, éclat limpide de la pierre, et surtout les chants tristes et doux, qui n’ont cessé depuis de m’émouvoir... O jours divins, où les images s’accumulent en vous, tissées de lumières et de sons !...

La moisson coupée, on la transportait et on l’engrangeait comme devant. On traitait de même l’aire. Et puis on louait une batteuse à manège et un ventilateur. La batteuse décortiquait seulement l’épi. Elle se composait d’un batteur et d’un appareil qui l’animait, un mécanisme à traction animale, muni de quatre arbres de tirage placés en croix dessus. Le batteur était formé d’un corps intérieur ou grille, courbe, en demi-lune, armé de rangées d’arêtes, contre laquelle l’épi venait buter, entraîné par un cylindre, le tambour.

Celui-ci, parsemé de dents, actionné par une poulie, roulait au ras de la grille et vidait la tige de son grain. Le blé tombait à terre, où on le ramassait à la pelle pour le passer au ventilateur. Là éventé par des palettes, secoué sur des cribles plats, le tout mû par un volant, le grain se triait et se purgeait à la fois de sa balle. Le ventilateur était à bras. Pour le manège, dès qu’il était fixé sur l’aire, dans une tranchée, à grand renfort de pierres et de coins, on attelait quatre paires de bœufs aux arbres : et, en avant, partout. Une litière répandue sous leurs pieds empêchait les bêtes de glisser. Les attelages duraient deux heures. Forcés de tourner continûment, le front secoué par la vibration des arbres, souvent arrêtés par les caprices du batteur engorgé ou du mécanisme manquant d’huile, soumis à des efforts répétés de départ, ils haletaient, vite ruisselants de sueur. Même dans l’air ardent on les voyait fumer. Ils étaient mouillés au point que les taons renonçaient à les piquer. On les dételait et les remplaçait. Les hommes, en revanche, avaient le temps. Alimenter de gerbes le batteur, pâturé de terre à la main, construire la meule de paille au fur et à mesure de la sortie, ils y suffisaient sans hâte, et prenaient leurs aises. A la moindre saute d’humeur du batteur, tous, tout de suite, se groupaient autour, et les langues d’aller.

Aujourd’hui règnent la moissonneuse-lieuse et la batteuse à vapeur : soit batteur et locomobile. Leur âge est arrivé. J’ai dit le travail de la moissonneuse ; après quoi, il n’y a qu’à charger et à emporter le blé. On ne l’engrange plus. On l’entasse en gerbière,