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centrale, soumise elle-même à l’action du volant que la courroie lui imprime. Celle-ci accomplit de l’un à l’autre sa course sans fin. Et l’eau et le feu, eau de source et flamme de bois pétillant, sont les agents de vie de cet organisme de bois et de métal que l’on pâture à la main, debout sur lui, par une ouverture au-dessus du tambour, une fente beauté nommée gueule du batteur.

On compte seize hommes pour servir une batteuse. Trois sur le batteur, « l’engraineur » et ses aides ; deux sur la gerbière, deux au pied ; cinq répartis sur l’emplacement de la meule ; deux pour ensacher et peser, de l’autre côté de la gerbière ; et le mécanicien, et le maître de maison. Les gens d’âge sont mis aux sacs, emploi de confiance, et à la meule, difficile à monter : les jeunes gens vont au maniement des gerbes, celles que l’on fait glisser de l’amas, celles qui sont happées à bout de fourche ou prises à terre, et hissées sur le batteur. Il faut aussi que les aides de l’engraineur soient des gars, forts, vifs, adroits, comme lui-même un ouvrier expérimenté, habile, imperturbable. Il fait figure de spécialiste, suivant partout son appareil et le servant seul. Et le chef du mouvement est le mécanicien. Il le déploie, le presse, le contient, l’œil sur le manomètre, la burette d’huile à la main. Le maître dirige le chantier... Le lendemain de l’arrivée de la machine, au soleil naissant, rassemblés par un coup de sifflet prolongé qui troue le ciel ou par un appel rauque, à la résonance triste, comme l’adieu d’un navire en partance, qui se répand de proche en proche, tous les hommes, les seize hommes sont en place, attentifs, semblables à des exécutants sur le qui-vive. Les femmes sont bannies. Elles ne viennent que pour apporter à boire.

Un signal aigu part et tout entre en mouvement. La vapeur se dilate, le piston joue, le volant tourne, la courroie circule : la course sur place commence. Un rondement s’élève : c’est le tambour qui vibre. On dirait un bâillement affamé de monstre. En même temps, les cribles s’agitent, les pelles battent l’air, la chaîne à godets opère sa rotation, et le monte-paille, à hauteur de tête au-dessus de l’air, déclenche son déroulement sans fin. Et, comme emportés par l’élan général, comme d’autres organes mis en jeu à leur tour, les hommes s’ébranlent de proche en proche. Et l’on voit la première gerbe glisser du haut de la gerbière. Saisie au passage, portée sur le batteur, — déliée là, —