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étincelant d’aise à contempler ce blé dans sa forme dernière, ce blé qu’il a si longuement couvé... Il strie la poussière grise de faisceaux éclatants, et le vaste branle-bas gagne encore en cohésion et en intensité à sa lumière grandissante.

Un grand silence règne parmi les rouages et les hommes. Seul, le cylindre rend son ronflement interrompu, et seul le piston un bruit de course saccadée. On croirait que l’un aiguillonne l’autre, que la vapeur pousse la pièce, et lui jette un commandement hâtif et répété : va ! va ! va !... On n’entend qu’eux. Le reste, du volant formidable au dernier boulon, incessamment huilé, lubrifié goutte à goutte par le mécanicien, le reste fonctionne d’un jeu glissant et muet. Si un cri jaillit, c’est que le maître le lance pour encourager son monde ou pour donner un ordre, sans arrêter, lui dont l’œil veille à tout. A moins qu’il n’y ait accident. Quelqu’un est tombé de la gerbière ; quelqu’un trébuche et s’abat sur l’aire, suffoqué ; l’engraineur a les bras pris dans la gueule. Ses mains au ras du cylindre, à le pâturer, il risque de les sentir happées, à la moindre maladresse. Surtout s’il se trouve des liserons mêlés à la paille qu’il engouffre. De tige filiforme, longue, flexible, résistante, soudain, ils lient l’homme aux poignets. Il n’a point le temps de se dégager. Mains saisies, mains broyées : c’est tout un... Mais le cri vibre alors autrement. L’effroi ou le déchirement l’emplit... L’accident est l’exception. Toujours presque, la tâche s’achève réglée comme un ballet, le ballet des épis, aux éclats de l’éblouissant luminaire, aux coups d’archet du piston, dans le même décor agreste, puisque la meule grandit à mesure que la gerbière baisse, et occupe peu à peu tout le fond de la scène. Elle monte au point que, le soir, on n’aperçoit plus ceux qui relèvent, mais seulement leurs fourches qui s’agitent sur son sommet... C’est le moment où on la « ferme, » où on établit la ligne faîtière de perche en perche. On l’assujettit par un cordon de paille tressée et retombante, fixé à la masse par des chevilles de bois à bec, afin que les vents d’hiver ne décoiffent pas l’édifice, par un long cordon festonné, tendu d’un bout à l’autre, comme un collier massif sur un sein ambré.

Il n’y a point de repos en dehors du temps des repas : à huit heures, à midi, le soir, quand la meule est finie. Comme ils s’invitent les uns les autres, selon la coutume, à l’époque des grands travaux, et se rendent des politesses, la chère est