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Charles Gay fit à Saint-Louis d’excellentes études. En 1833, à dix-huit ans, il obtenait au concours général le prix d’honneur de rhétorique. Dès 1830, en des vers juvéniles, animes par l’esprit libéral et même irréligieux du temps, le poète de quinze ans avait célébré « les trois glorieuses. » Alors aussi, toujours en vers, il se félicitait que, pour appeler les élèves à l’étude et à la récréation, le tambour, militaire et laïque, eût remplacé la cloche, « cloche maudite, instrument d’capucin. » Le futur prêtre, ou seulement le croyant, ne perçait pas encore sous l’écolier. Mais déjà s’annonçait l’artiste, le musicien surtout, et le philosophe, celui qui plus tard écrira ceci : « Affirmer que l’art est de trop dans la société, c’est dire que l’instinct du beau est de trop dans l’âme de l’homme. » Et encore : avant de nier l’utilité du beau, il faudrait « prouver que l’âme n’a pas de besoins, ou que l’art ne les satisfait pas, ou encore qu’il n’est pas utile de les satisfaire. »

L’adolescent pensait le contraire et se complaisait dans sa pensée. Tout enfant, il avait aimé la musique. On le surprenait alors, nous dit son biographe, « feuilletant des partitions, comme si la vue des notes eût évoqué les mélodies qu’il avait entendues. » Il ne tarda pas à devenir un bon pianiste. Au sortir du collège, ses parents souhaitèrent qu’il fit ses études juridiques. Il s’y résigna, peu de temps. Au bout d’une année, il passait de l’École de Droit au Conservatoire, où ses maîtres furent Le Sueur et Reicha, dont Gounod, à la même époque, était aussi l’élève. L’auteur de Faust a raconté comment il retrouva son camarade de collège. C’était en 1835, au foyer de l’Opéra, « un soir où l’on jouait la Juive. Je le reconnus et j’allai droit à lui. — Comment, me dit-il, c’est toi ! Et qu’est-ce que tu deviens ? — Mais, je m’occupe de composition. — Vraiment ? moi aussi. Et avec qui travailles-tu ? — Avec Reicha. — Tiens ! Moi aussi. Oh ! mais c’est charmant ; il faudra nous revoir [1]. » Et non seulement ils se revirent, mais pendant plus d’un demi-siècle, en pensée au moins, ils ne furent jamais séparés.

  1. Mémoires d’un artiste.