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Autant que les œuvres musicales, plus encore peut-être, la nature, l’essence même de la musique passionnait déjà le musicien de vingt ans. « La philosophie de la musique, » a fait jadis observer Rio, « la philosophie de la musique est une mine qui est restée jusqu’à présent et restera longtemps encore inexplorée. Ceux-là seuls qui pourraient en parler pertinemment, c’est-à-dire les grands maîtres, n’ont que la moitié de ce qu’il faut pour entreprendre ce travail. En général ils n’ont pas, à un degré suffisant, le don de la méditation, et ils manquent de ce tact exercé qui sait dégager l’idée de la sensation et tirer une nourriture pour l’esprit de choses qui parlent à peine aux sens de la foule <ref> A. F. Rio, Épilogue à l’art chrétien ; I, Appendice (cité par Dorn Bernard de Boisrouvray). < :ref>. »

Déjà ce tact et ce don ne faisaient pas défaut au jeune artiste philosophe. Et c’est justement sur la philosophie de son art préféré qu’il se propose d’écrire. On n’a retrouvé que l’ébauche, quelques notes seulement, de l’ouvrage qu’il méditait. Elles datent probablement de 1836 ou 1837. A cette époque, dans l’esprit et dans l’âme de Charles Gay, la foi religieuse, un moment chancelante, s’était raffermie à jamais. Elle s’unissait encore en lui à l’amour de la musique, en attendant l’heure, maintenant prochaine, où l’amour de Dieu, saintement jaloux, allait le prendre et le garder tout entier.

Œuvre d’un artiste et d’un croyant, l’essai d’esthétique dont l’auteur avait tracé le plan, devait se diviser en une douzaine de chapitres ou leçons. Tout l’ordre musical y était non seulement exposé dans ses rapports avec l’ordre divin, mais expliqué par ces rapports mêmes. D’après le jeune philosophe, pas une forme, pas une force des sons n’échappe à cette religieuse correspondance. Et d’abord, le principe et l’origine de l’art, de tout art, est en Dieu, n’est qu’en Dieu. « La première œuvre d’art est la création. Toutes choses sont faites à l’image de Dieu, dont la loi suprême est l’unité dans la pluralité : la Trinité, à laquelle rendent témoignage toutes les sciences et tous les arts, toutes les choses et tous les êtres... Tout est triple et un.

« La musique est aussi soumise à cette loi : mélodie, successivité ; harmonie, simultanéité ; rythme, action, mouvement logique. Cette trinité manifestée par le son, comme l’âme par les corps, voilà la musique. »