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faire, mes pensées ? Le mot « prières » lui fait pour. Où en est-il donc ? Pauvre, pauvre âme ! Mais que le monde est exécrable de faire à Dieu de lois larcins ! »

Moins de trois ans plus tard, métamorphose inverse.

Gounod à l’abbé Gay (16 janvier 1863) :


« Mon ami,

« C’est aujourd’hui l’anniversaire d’un jour triste pour moi entre tous ; il y a cinq ans, à pareille heure, je venais de perdre ma mère bien-aimée. Mais il a plu au bon Dieu, dont j’écris le saint nom avec un bonheur inexprimable, de faire pour moi de ce triste jour un jour bienheureux, si heureux que je ne puis l’achever sans te jeter avec le cœur la douce nouvelle de cette joie. Ce matin j’ai retrouvé en lui cette mère qui m’avait quitté pour aller à lui et dont j’étais séparé, puisque j’étais hors de lui ! Ah ! mon ami, j’aurais voulu avoir à lui offrir ce matin l’âme d’un Augustin ! Ma seule consolation, dans le sentiment de mon infinie misère, a été de sentir que c’était Lui-même que j’étais appelé à lui offrir. A cette promptitude de pardon, j’ai compris, mieux que par toute preuve, qu’il a tout fait de rien et que l’instant lui-même est un siècle, comparé à la rapidité de sa grâce. A cette invasion surabondante, j’ai compris que l’homme nouveau était une création instantanée de sa bonté, comme le premier homme le fut de la toute-puissance de sa volonté. Toute la nature a changé pour moi en un clin d’œil et il m’a semblé que je venais au monde...

« Je te quitte, cher ami, en ne me séparant plus de toi. Demande ma constance aussi ardemment que tu as demandé ma vie.

« Ton ami et ton frère,

« CH. GOUNOD. »


Entre les esprits, sinon les cœurs, la séparation allait se renouveler dès l’année suivante. Celle-ci fut pour les deux amis un temps d’épreuve : année de doute, et plus que de doute, pour l’artiste ; pour le prêtre, d’inquiétude et d’angoisse fraternelle. « J’ai dû écrire une grande lettre de controverse à mon pauvre Charles Gounod qui a positivement perdu la foi. » Les lettres de Gounod alors témoignent en effet de cette perte. L’influence de Renan et de la Vie de Jésus n’y fut point étrangère. Après s’en