Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/410

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

être défendu, Gounod ne tarda pas à la subir. J’ai lu ce livre, déclare-t-il, « dans une disposition assez semblable à celle de saint Pierre tirant son épée pour couper l’oreille à Malchus. Il me semblait que j’avais devant moi un homme qui voulait tuer mon maître. Je me suis donc armé de prière, d’évangile, de notes, d’encre et de papier, et je me suis mis à consigner tout ce qu’il y avait à mes yeux d’erreurs de fait, de raisonnements spécieux, d’explications arbitraires trahissant parfois la faiblesse critique de l’auteur. J’ai fait ce travail jusqu’au bout avec conscience, et de ce livre, que je n’ai lu qu’une fois, presque tout est tombé, sauf une chose, que je vais te dire en deux mots : le droit éternel et imprescriptible de la loi naturelle. »

Cette loi, qui lui parait échapper seule à la ruine de l’ouvrage, est justement celle dont Gounod cherche alors à se faire, après tant d’autres, un Kant, un Rousseau, le principe et la base de sa croyance, ou plutôt de son incroyance nouvelle. Exemple : « Je crois que la nature offre à l’espèce humaine aussi bien qu’à tout le reste toutes les conditions de son existence et de son développement moraux (sic), soit dans l’individu, soit dans les sociétés, et que l’homme trouve en lui, par la conscience d’une part et par la volonté de l’autre, les enseignements et les puissances nécessaires pour pratiquer sa loi. Je crois que tout homme parfaitement conforme, en désir et en action, aux dictées infaillibles et immuables de sa conscience est bon et pur devant Dieu. »

Du moins, si la foi de Gounod l’avait alors abandonné, sa bonne foi, sa bonne volonté même demeurait entière, comme sa tendresse pour l’ami, le confident que lui-même, et malgré lui-même, il afflige.

« Toi, représentant de Dieu selon l’Eglise par la doctrine, représentant de Dieu selon tous par ton cœur, je ne veux pas que les tourments de ta foi, quant à l’état de mon esprit, aillent jusqu’à ton âme. Tu vois peut-être en Dieu mieux que moi, mais Lui nous voit tous deux et je crois que, s’il te parlait, il te rassurerait sur ton ami toujours bien fidèle et bien tendrement affectionné. »

Aussi bien, dans cette âme changeante, mais sincère et naturellement religieuse, le goût, la passion du divin ne pouvait mourir. La foi que pour un temps elle ne possède plus, elle la regrette, elle la cherche, et la souhaite toujours. « Il faut